Voilà un billet bien délicat à écrire, car je vais essayer d’expliquer pourquoi il aurait fallu republier les pamphlets de Céline. Vous le savez, ces écrits sont une accumulation de critiques et de haine des juifs et donc éminemment racistes. Délicat, parce qu’il est de nos jours devenu pratiquement impossible d’aborder le sujet de l’antisémitisme. Toute tentative en ce sens est immédiatement torpillée par une série de réactions, d’entretiens et de coups… de téléphone. C’est ce qui vient d’arriver à Gallimard, qui n’est pourtant pas le premier venu.
Alors pourquoi aurait-il fallu republier ces textes ?
D’abord la réponse et ensuite la démonstration. Réponse : fondamentalement, pour essayer de dénouer les non-dits de la période des deux dernières guerres mondiales, dont le refoulement est en grande partie responsable des discours populistes et de leur audience, et aussi pour comprendre le blocage politique de notre société.
Démonstration : la première guerre a été une vraie boucherie. L’entre-deux-guerres un combat entre les peuple et les castes, c’est-à-dire entre les pauvres et les riches avec la victoire de ceux-ci, et la deuxième guerre un règlement de comptes entre impérialistes avec l’achèvement de l’hégémonie américaine. Du coup, le monde issu de la dernière guerre a jeté un voile sur notre histoire, dissimulant ainsi les comportements de nos concitoyens bien à rebours de la version officielle.
Car, entre autres, pendant la dernière guerre, la France n’était pas tout entière rebelle aux forces d’occupation, essayant par tous les moyens de lutter contre l’envahisseur, avec détermination et conviction. Et non seulement la population ne s’est pas battue, mais certains ont même plutôt bien profité. En particulier, ce qu’on appelle aujourd’hui la ferme France, qui s’est honteusement enrichie. Le masque dont cette réalité a été recouverte a fait le lit d’une France honteuse de son passé mais ne pouvant en faire le deuil.
C’est dans cette trame que s’est retrouvé Céline. Il a exactement vécu ou plutôt habité cette période, et ses écrits sont tout entiers marqués par la guerre et le racisme qui ont dévasté cette époque. Un écorché vif dans un monde de fous. Et il a écrit ou plutôt parlé de toute l’horreur que lui provoquait ce monde, et du coup de sa faible considération pour la condition humaine descendue si bas. Céline a été traversé par ces courants et ces luttes, il a été antisémite, il a été bolchevique, il a fait la guerre, il a été en prison, il été exilé et, sans cesse, il a crié que le monde allait à sa perte.
Clairement, il est impossible d’envisager de se débarrasser de l’antisémitisme sans mettre sur la table les raisons qui l’ont provoqué et entretenu. C’est une grande introspection collective qui est nécessaire. Et non pas un ostracisme qui s’abreuve aux même sources que le racisme.
C’est pourquoi il me semble que la réédition des pamphlets pourrait être l’occasion de remettre un peu à plat notre passé. Nous avons tout à gagner à reconnaître nos erreurs et à dénoncer ceux qui les ont ignorées ou en ont profité. Oui nous avons été collabos, oui nous avons été racistes, et du coup nous le sommes encore beaucoup trop.
Alors bien sûr je rêve, car il est probable que Gallimard en lançant son annonce ne cherchait qu’à faire vendre du Céline. Vendre, toujours vendre, quelle horreur.
Michel Costadau
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