On n’entend presque plus parler de contre-pouvoir. Et alors ! pourquoi faudrait-il en parler ? Y a deux réponses, la bonne et la mauvaise. Bien sûr la mienne est la mauvaise, mais commençons par la bonne. Le contre-pouvoir des médias ou des syndicats ou des ONG est la preuve d’une société libre et participe du fonctionnement des démocraties. Et maintenant la mauvaise : il n’y a pas de contre-pouvoir des médias, ils sont au contraire un rouage essentiel du fonctionnement du pouvoir. Il en est de même des syndicats et des ONG. Ah bon !
A vrai dire le premier des contre-pouvoirs se trouve, ou plutôt se trouvait, dans l’indépendance de la justice. Ça fait belle lurette que plus personne n’accorde de crédit à cette idée. Et de fait la réalité est de ce côté-là sans appel. La justice est au service des riches point à la ligne.
D’ailleurs cette notion de société de droit, loin de représenter un progrès démocratique est la meilleure protection des puissants pour conserver leurs privilèges. Vous savez comment ça fonctionne : les puissants disent leur besoin, par exemple pour du chlordécone, alors les députés ne mettent pas cette molécule dans la liste des produits interdits et comme par miracle la justice sanctionne ceux qui s’opposent à son utilisation. Voilà c’est ça la société de droit.
Question : mais au fait pourquoi faudrait-il des contre-pouvoirs
?
Réponse : parce que, de nos jours, le pouvoir est tellement peu partagé que tout le monde ressent un besoin de rééquilibrage. Tous les mouvements populistes ne font qu’exploiter ce sentiment de dépossession. Et de même les ONG surfent sur le besoin de dénonciation des abus du système. Mais en fait ils ne dénoncent que ce que tout le monde sait, et ceux qui croient que les ONG sont puissantes au point de pouvoir arrêter une guerre sont de doux rêveurs car dans le monde actuel le seul fait de vouloir exister demande une compromission énorme. Vous allez me dire qu’il y a des médias alternatifs, des associations indépendantes et des lanceurs d’alerte. Le plus fort c’est que vous avez raison, mais hélas moi aussi, parce que l’indépendance a aussi un autre non : c’est l’impuissance. Et c’est le paradoxe des ONG. Soit elles ne font pas parler d’elles et alors elles n’ont aucun moyen pour agir, soit elles font partie de la sphère médiatique et récoltent des subsides mais alors elles sont aux mains de fondations, d’organismes nationaux et internationaux, voire de milliardaires et elles restent aux ordres.
Mais alors ce serait quoi, de nos jours, ces fameux contre-pouvoirs. Le principe en est simple : ce sont des entités qui ne sont pas directement dans les arcanes du pouvoir, mais dont la parole a du poids pour des raisons morales, philosophiques, historiques ou sociétales. Exemples : les militaires, les avocats, les Églises, les philosophes ou les historiens. Seulement pas besoin de grands discours pour voir que toutes ces entités sont maintenant complètement intégrées au système.
La réalité c’est qu’il n’y a plus de contre-pouvoir, c’est-à-dire de parole portée par un groupe et capable de bloquer une mauvaise décision du pouvoir. Et bien au contraire la généralisation des sondages comme instrument de pouvoir a détruit la notion même de contre-pouvoir.
Seulement, soyons honnêtes, une société sans contre-pouvoir est une société totalitaire.
Michel Costadau
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