Nous avons donc laissé Guy avec deux épines dans le pied si l’on peut dire : la prise de conscience des aspects nocifs de son don et les plantes résistantes. A vrai dire, seule la seconde épine le préoccupait, tout en le faisant rêver puisqu’il lui devenait envisageable de fouler de l’herbe ce qui, c’est vrai, est plutôt agréable.
Mais sur ces entrefaites, Guy entra à l’école secondaire pour compléter son éducation. A vrai dire il ne savait pas grand-chose car il avait plutôt été utilisé par ses parents pour des missions d’un genre disons spécial, plutôt qu’apprendre. C’est dire que ses débuts furent assez difficiles, car les autres élèves étaient du coup plus avancés que lui. Bien entendu, assez vite cette histoire de plantes fut connue et les gamins qui, comme vous le savez, sont impitoyables, se divisèrent en deux camps, les anti Phozat et les pro Phozat. Evidemment dans leur grande majorité, les enfants ne reflétaient que l’avis de leurs parents, et donc ce n’était pas vraiment un débat d’idées mais plutôt un pugilat de cour de récréation continuel et général. Et dans cette bataille les pro Phozat se croyaient tout permis étant les plus nombreux, les plus forts physiquement et les moins indépendants de leurs parents c’est-à-dire avec le moins d’idées propres et donc le moins susceptibles d’en changer.
Pour ajouter à la confusion, les enseignants se trouvèrent rapidement mêlés à la dispute. Mais là le rapport de force était inversé, les anti-Phozat étant non seulement les plus nombreux, mais aussi les plus armés techniquement avec beaucoup d’études à l’appui.
Nous avions donc une situation extrêmement paradoxale. D’un côté les moins instruits c’est-à-dire beaucoup d’élèves et leurs parents en général guère plus instruits que leurs enfants mais de beaucoup les plus vindicatifs, tenant Phozat pour un bienfaiteur de l’humanité, et de l’autre coté ceux qui avaient la connaissance et les données techniques, essayant de se faire entendre par des discussions, des explications, des articles. Mais convaincre des endoctrinés c’est, vous le savez, très difficile.
Cependant, quelques anti-Phozat eurent l’idée de tendre un piège à Guy. Comme Guy était assez grand de taille, ils lui demandèrent d’aller, nuitamment et sans bruit, chercher un sac de billes qu’ils avaient préalablement mis sur un toit. Pour Guy, l’opération était assez simple il suffisait de monter sur des bacs puis sur le toit et de redescendre avec le sac. Ce qui fut fait. Le sac de billes fut distribué et il fut félicité par ses comparses. Et tout le monde alla dormir.
Las, le lendemain matin des cris retentirent dans la cour : « mes fleurs », « mes fleurs ». C’était la femme du proviseur qui pleurait après ses fleurs que quelqu’un dans la nuit avait piétinées et certainement arrosé d’un produit qui les desséchait rapidement. Un nom fleurit bientôt sur toutes les lèvres, c’est Phozat, c’est Phozat et il ne mit pas longtemps à être confondu.
Evidemment, le proviseur qui tenait plus à sa femme qu’à ses élèves prononça le renvoi immédiat et définitif de Guy. Ainsi Guy ne fit-il qu’un passage éclair à l’école. Ce qu’il retint quand même c’est que l’instruction donne trop d’idées aux gens et qu’il vaut mieux un monde d’ignorants.
Michel Costadau
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