Il est communément admis que nous vivons dans le siècle du progrès, de la paix et dans une civilisation évoluée et moderne. Moderne je veux bien le croire, parce que ça ne veut rien dire, mais pour le reste j’ai des doutes. L’idée de base que propagent les médias c’est que nous sommes sortis de la barbarie et que nous avons atteint un nouvel état dans le respect de la personne humaine, qui rompt avec les temps anciens.
Certes les anciens temps nous ont toujours été dépeints comme particulièrement primaires dans tous les domaines en particulier, et c’est ça qui m’intéresse, dans celui de la barbarie.
Il y a des routes bordées de piques sur lesquelles sont fichées les têtes coupées des ennemis. Il y a le cortège des généraux vainqueurs suivi du flot des prisonniers conduits directement au marché aux esclaves. Il y a les bûchers sur lesquels grésillent les hérétiques, les envoûtés, les idolâtres, les sodomites. Il y a la lourde barre de fer qui tombe sur le brigand attaché sur la roue de charrette de la place publique. Il y a les hordes asiatiques déferlant sur les villages et éventrant la population pour leur dévorer le cœur al dente. Il y a les vierges immaculées, déchiquetées par les lions et dévorées par les tigres devant une foule enthousiaste. Il y a les gibets à plusieurs étages offrant toute l’année de la putréfaction aux corbeaux et aux rapaces. Il y a de l’huile d’olive bouillante déversée depuis les remparts sur les assaillants. Il y a les cages suspendues, étroites et froides ou étaient logés les traitres à la famille royale. Il y a les oubliettes, les emmurés vivants, les empalés. Il y a les maures enlevant la fine fleur de la jeunesse des villages côtiers pour aller les vendre à des nababs et des traficants.
Il y a tout ça et en fait je ne vois rien car ce ne sont que des dessins, des coloriages, des illustrations accompagnées de textes très convenus.
Il y a tout ça et je demande ce qui est vrai là dedans, ou tout au moins quelle est l’ampleur de ces actes barbares attribués aux anciens temps.
Pourquoi je me le demande : parce que je viens de lire qu’au Moyen Âge dans une ville comme Agen, il y avait un seul supplicié par an, c’est-à-dire en moyenne une pendaison par an. Certes il est précisé que des villes comme Avignon ou Paris faisaient un meilleur score mais, quoi qu’il en soit, on est loin des repas en libre service pour les choucas.
Pourquoi : parce que dans l’Iliade, premier ouvrage de référence sur la guerre, il n’y a aucun acte de barbarie, mais plutôt le courage, la vaillance, la ruse. Les individus accompagnés par leurs propres dieux y sont l’objet de respect, morts ou vivants.
Pourquoi : parce qu’il y a une tendance naturelle à noircir le passé de façon à justifier le présent.
Alors je me pose des questions et je vois, par contre, que la barbarie actuelle est assourdissante.
En plus, nous avons, maintenant, les images, les films, les vidéos des bateaux surchargés de migrants coulés pour qu’ils n’arrivent pas au port et que personne ne veut recueillir.
Là je vois bien, c’est clair.
Les images de bombardements, de torture, de gazés, de files de familles qui vont dieu seul sait où en portant leurs enfants et leur maigre barda. Et les grilles électrifiées de Melilla prises d’assaut avec des échelles de fortune, ce n’est pas les temps anciens, c’est maintenant.
Alors vous allez me dire : mais ça ne se passe pas chez nous. Eh bien si c’est chez nous. Parce que vous n’allez pas mettre, chez vous, des chaussures fabriquées en Inde sans prendre aussi chez vous les camps de Rohingas, les taudis des Bangladais, l’assassinat des opposants.
Aujourd’hui les goulags ne sont plus en URSS, ils sont en Israël, en Birmanie, au Liban, et aussi en Italie, en Grèce et en Turquie. Et en France il y a des camps. C’est ça la mondialisation, parce que nous sommes partout chez nous.
Guantanamo ce n’est pas au Moyen Âge, c’est aujourd’hui.
Oui la barbarie n’est pas derrière nous, elle est au contraire devant nous, elle est chez nous. Alors pour le respect de la personne humaine, non seulement nous n’avons pas fait de progrès mais au contraire nous sommes au plus bas niveau. Aujourd’hui une vie humaine vaut cinquante euros, le prix d’une paire de chaussure. C’est pas grand-chose.
Michel Costadau
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