Y a pas à dire c’était un beau projet, beaucoup trop onéreux certes, mais qui permettait de donner une nouvelle notoriété à Castres et, en secret, de prendre une petite revanche par rapport à Albi. C’est vrai qu’Albi était, déjà, reliée à Toulouse par une autoroute quasiment gratuite et en tous cas gratuite dans le Tarn. Certes cette autoroute n’était, en fait, que l’aménagement de la nationale mais on disait l’autoroute. Alors évidemment pour aller de Castres à Albi par autoroute il aurait fallu faire 120 km au lieu des 40 km qui séparent les 2 villes mais quand on aime on ne compte pas
C’était, donc, un beau un grand projet et il y en a sûrement encore certains qui se disent que finalement ça n’aurait peut-être pas été aussi catastrophique que ça, et que peut-être Castres ne serait pas, automatiquement, devenu une des cités dortoir du grand Toulouse, ou une zone industrielle de la grande banlieue toulousaine.
Bien sûr tout le monde savait que pour des raisons économiques, ce projet n’était pas réalisable. D’ailleurs mettre un concessionnaire au début ça paraissait, même, une bonne idée. C’était une manière de dire que ça devait être rentable, puisqu’une société privée s’en occupait et le privé, comme chacun sait, c’est rentable par principe car il faut bien nourrir les actionnaires, sinon ils vont mettre leur argent ailleurs. Seulement après il a bien fallu parler de la subvention d’équilibre et de la caution solidaire des pouvoirs publics pour garantir au privé que ça serait rentable. C’est là que tout le monde a vu ce que ça coûterait aux collectivités et à l’Etat et ce pendant euh…. pendant longtemps. A vrai dire il y avait un cas favorable pour les calculs, c’était celui d’un accroissement inespéré, énorme, rapide et continu du trafic, pour atteindre des fréquentations comparables à celles du périphérique de Toulouse et à ses embouteillages. Au XXe siècle ç’aurait été, encore, possible mais au XXIe ça relevait du même obscurantisme que ceux qui au Moyen Age croyaient encore à la pierre philosophale, alors bien sûr personne n’a été dupe. C’est-à-dire que d’une part le trafic prévisible était assez faible et que d’autre part la progression du trafic n’était pas quelque chose de très crédible avec tous ces Grenelle de l’environnement et ce grandissant souci de durabilité dont parlaient les technocrates, et finalement ça faisait une addition tellement salée que même les plus optimistes faisaient semblant de se tromper sur les chiffres.
En plus, sur le plan économique il y avait deux autres aspects assez embêtants, c’était d’une part que le Tarn devrait financer une autoroute à moitié en Haute-Garonne et d’autre part l’expérience cruelle du désistement de l’Etat dans l’aménagement de l’ancienne mine dite La Découverte.
Pour la Haute-Garonne le problème était simple : ils étaient contre le projet et donc s’interdisaient d’y mettre le moindre denier. L’hypocrisie était que dans l’esprit de tout le monde, Toulouse était le principal bénéficiaire du projet mais espérait que les Tarnais seraient assez « braves » pour le payer en entier. Il était même question de racheter des routes à la Haute-Garonne pour pouvoir assurer la continuité du projet. Ce qui faisait que non seulement ça ne coûtait rien à la Haute-Garonne, mais en plus ça lui rapportait. Un comble.
Pour la Découverte, l’expérience était cuisante et surtout onéreuse parce que sous couvert de décentralisation et d’autonomie locale l’Etat avait bel et bien abandonné ce projet avant d’avoir donné tout ce qu’il avait promis, et comme ce n’était pas des privés qui avaient le projet mais des collectivités publiques, tintin pour se faire payer, alors ça coûtait et je crois bien que ça coûte encore. Cet état de fait avait sérieusement émoussé la confiance des dites collectivités dans les projets réputés rentables à une certaine échéance, échéance qui correspondait au désengagement de l’Etat. Peut-être aurait-il fallu mettre une clause de rendez-vous pour vérifier que la rentabilité était effectivement arrivée, mais ce n’est pas ce genre de clause qui arrête l’Etat quand il ne veut plus payer.
C’était aussi un projet qui était réputé donner du travail aux Castrais. A vrai dire on ne savait pas trop de quelle manière et du travail il y en avait déjà à Castres avec l’agro-alimentaire, les carrières et évidemment les laboratoires Fabre.
La première idée était que, par exemple, les laboratoires Fabre construisent des unités à Toulouse, et que les Castrais pourraient utiliser l’autoroute pour aller travailler à Toulouse. Super oui mais si les investisseurs avait l’idée de construire à Castres où à Soual, alors il n’était plus nécessaire d’aller à Toulouse pour travailler et tout le monde y gagnait et surtout les Castrais.
Alors il y avait eu une deuxième idée, c’est que non seulement les laboratoires Fabre mais aussi d’autres entreprises construisent des usine ou des bureaux à Castres et donc que les Castrais aient vraiment du travail et en plus à côté de chez eux. Seulement les Castrais ne sont pas fous et ils ont vite vu qu’avec une autoroute ce ne serait pas eux qui auraient du travail en plus mais les Toulousains et toute la banlieue est de Toulouse. Donc OK pour les bureaux mais sans l’autoroute.
Il y avait quand même une troisième idée, c’était le site d’enfouissement des déchets toxiques. C’était un besoin énorme de la métropole toulousaine et l’autoroute aurait permis de sécuriser ces transports dangereux avec bien sûr une prime pour le concessionnaire. C’est vrai qu’à un moment Castres avait pu être considéré comme un cul-de-sac dans le sens ou, en venant de Toulouse, après Castres il y avait Mazamet et après Mazamet plus rien ou plutôt si, après Mazamet il y avait la montagne et ce n’était pas synonyme de civilisation donc c’était bon pour les déchets. Alors là les Castrais ont bien réagi, ils ont dit qu’ils étaient peut-être un cul-de-sac mais que ce n’était pas une raison pour que les autres les considèrent comme des demeurés et viennent faire leurs besoins chez eux, et donc cette idée n’était pas bonne mais alors pas du tout bonne.
Là où le projet mettait tout le monde mal à l’aise c’était par rapport à l’agriculture. L’agriculture c’était la vocation de tous les territoires traversés, car entre Castres et Toulouse il y avait le Lauragais, le nord du Lauragais certes mais le Lauragais quand même. Dans toutes les communes concernées les élus n’arrêtaient pas de proclamer leur vocation agricole pour ne pas dire leur dévotion agricole. Préserver les exploitations, ne pas morceler les parcelles, encourager les installations, fournir les imprimés des primes et subventions et de temps en temps convaincre les populations de la non-toxicité des produits employés. Bref hors l’agricole rien d’intéressant.
Et donc ce tracé avec son couloir de 1000 ha pour les voies et les à ctés, la division de centaines de parcelles, la coupure de centaines de chemins et, comme un poison à diffusion lente, cette urbanisation galopante le long de la voie en commençant par les accès, ça faisait désordre, donc les élus ne pouvaient pas être pour, mais comme déjà ils ne pouvaient pas être contre et bien c’était une inflation de langue de bois comme on n’en avait jamais vu et pourtant on avait vraiment l’habitude dans le coin. Alors ça donnait du genre « de toute façon c’est déjà décidé en haut et on a plus rien à dire » ou « tout ce qu’ils veulent c’est qu’on se mette d’un côté ou de l’autre pour nous faire porter le chapeau » ou encore « mettre tout le monde d’accord sur un truc comme ça ce n’est pas possible » et aussi « ça fait 20 ans qu’on en parle alors tu sais on en pense plus rien ». Cette samba ne pouvait rien donner de très bon et c’est pour ça que l’Equipement avait carte blanche pour porter le projet, de façon à ce que les élus ne donnent pas l’impression d’être les auteurs du projet mais seulement des spectateurs qui du coup cherchaient seulement à aider leurs populations.
Dans le registre agricole, il y avait quand même un aspect positif que le syndicat agricole avait tout de suite repéré, c’était la circulation des moissonneuses et autres gros engins. En effet, à partir du moment où on parlait d’autoroute à péage, ça voulait dire que subsistait partout, en double de l’autoroute, une route nationale qui du coup aurait été peut-être moins encombrée et donc plus facile de circulation. Bien sûr il aurait fallu pour cela que le trafic local soit faible par rapport au trafic total ou, pour le dire différemment, que les gens qui avaient l’habitude de prendre la nationale prennent celle de prendre l’autoroute. Et là aussi l’argument a fait long feu parce que pour prendre l’autoroute en local il faut avoir une entrée près de chez soi et une sortie près de là où on va. Et là, à moins de mettre des bretelles tous les 5 km y avait un gros gros problème.
Il y avait aussi cette délicatesse de langage qui s’appelait « deux fois deux voies ». Certains utilisaient ce vocable pour indiquer qu’il ne s’agissait pas d’une autoroute, encore moins à péage mais bien d’un aménagement de la route comme le prévoyait le plan d’aménagement du territoire, alors que d’autres utilisaient le même terme pour désigner le projet d’autoroute qui effectivement comportait deux fois deux voies, sans prononcer le mot parce qu’au final la vitesse n’était déjà plus très populaire. L’ambiguïté se doublait d’une contradiction économique insoluble. En effet si on disait deux fois deux voies en pensant autoroute alors on se voyait opposer la position inconfortable des pouvoirs publics obligés de payer une deuxième fois les travaux puisque le projet était concédé au privé, et si on disait deux fois 2 voies en pensant route on se faisait opposer que le plan ne prévoyait que certaine zones en deux fois deux voies mais pas le tracé entier. A cela s’ajoutait la hantise de devoir utiliser le terme d’autoroute en site propre, parce qu’alors on aurait eu peur de se faire opposer que ça aurait fait quatre fois deux voies au moins par endroit. Les Tarnais ne sont pas des Auvergnats mais quand même quatre voies dans un sens et quatre voies dans l’autre pour aller à Toulouse c’était dur à avaler et on se serait cru dans un feuilleton américain à la télé mais justement ce qu’ils ont de bien ces feuilletons c’est qu’ils sont là-bas et pas ici.
Voila un peu l’histoire et finalement, comme vous le savez, il s’est passé ce que tout le monde souhaitait sans oser le dire et même en disant que c’était ce que tout le monde redoutait le plus, c’est-à-dire l’abandon du projet autoroute au profit d’un aménagement des nationales en particulier pour améliorer la sécurité, parce que souvenez-vous le tout voiture on en parlait déjà de moins en moins et les usines ça se ferme mais les autoroutes il faut toujours payer.
Michel Costadau
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