Il est d’une totale immobilité, sauf la queue. Elle décrit de lentes contorsions comme une branche qui se courbe dans un sens puis d’un autre sous le vent. Avec de temps en temps une saccade de coups de fouets qui zèbrent l’air avec le bout de sa queue. Aussi instantanément qu’il s’est figé, il se remet soudain à marcher de son allure nonchalante et coulée. Il lève bien haut les pattes pour enjamber la maigre végétation. Il n’a rien attrapé bien qu’il ait sauté d’un bloc, toutes griffes dehors sur la possible présence d’un petit rongeur lui-même tremblant de peur sous deux petites herbes dans la hantise de se faire découvrir, ce qui en fait était presque le cas.
Mais rien n’indique dans sa démarche qu’il ait loupé sa proie et c’est d’un pas hyper-tranquille, presque méprisant, qu’il poursuit son chemin. Le seul signe avait été ces brusques secousses agacées de la queue. Là oui il n’était pas content mais sans faire le moindre mouvement avec son corps, les pattes encore posées sur l’endroit ciblé, espérant peut-être comme un joueur de poker qu’il l’avait bien attrapée et qu’il suffisait, comme quand on retourne la carte, qu’il se relève pour la voir.
Je suis certain qu’il adoptait son allure désinvolte, malgré son échec, parce qu’il m’avait vu. Ou plutôt senti, car il n’a jamais tourné la tête. C’est-à-dire qu’il avait compris, sans la moindre démonstration, que je le regardais, que j’avais observé son saut et son immobilité sauf la queue. Alors pour bien me montrer son mépris des voyeurs, non seulement il ne me regardait pas, mais même il m’ignorait complètement, comme si j’étais un arbre du décor.
Pourtant, d’habitude, quand il me voit, il vient me chercher avec son bruit de crécelle pour m’emmener à son assiette, pas toujours vide d’ailleurs puisque c’est un reflexe et que je suis définitivement associé à sa gamelle. Bien sûr il ne vient pas tous les jours, parfois même pas d’une semaine, mais quand il est là, c’est quatre fois par jour qu’il appelle quand il me voit. Ou plutôt entend, car dès que je sors par une porte ou l’autre il arrive soudain et réclame sa pitance. À ces moments-là je lui parle. En général je lui dis « oui on arrive », passe devant j’arrive ? Quelquefois c’est « oui mais tu viens de finir », tu as encore faim, c’est pas possible, je suis sûr que ton assiette n’est pas vide. Et de temps en temps c’est « non » et là c’est dur, il s’arrête, s’assied, ne me regarde pas bien sûr, mais marque le coup. Qu’à cela ne tienne, deux heures après il recommence.
Pourtant il est assez partageur et nous amène devant la porte de l’écurie, un demi-lapin, ou un demi-rat, toujours l’arrière rien que pour nous. C’est gentil.
Quand il est là, entre deux repas il dort. En fait il dort presque tout le temps. Quelquefois pour faire cinquante mètres, il s’arrête trois fois s’allonge complètement sur le côté, voire sur le dos ou se cale dans l’angle d’un mur avec le sol et pique un petit roupillon la tête posée sur une patte ou même les pattes en l’air. Dormir est un bien grand mot puisque même étalé, immobile, les yeux fermés il me voit et si je m’approche il est déjà debout en réclamant son dû.
Notre chat s’appelle picasso, c’est un artiste.
Michel Costadau
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