Sujet délicat s’il en est, surtout pour un homme : les violences conjugales. Heureusement je ne vais pas rajouter mon grain de sel à la médiatisation récente et surtout actuelle, mais seulement évoquer quelques termes de langage. Je trouve que féminicide n’est pas très bien choisi.
D’abord parce que donner un nom au seul résultat d’un acte c’est le séparer du cheminement qui a conduit à celui-ci. Par exemple, assassin ne laisse aucune place à légitime défense et drogué laisse peu de place à mal-être. Et donc féminicide ne désigne que ceux qui tuent leur conjoint, laissant de côté toutes les violences et les pressions que peuvent subir des femmes et quelques rares hommes. Clairement les violenteurs ne sont pas tous des féminicides mais sont pourtant la majorité des cas. Qui plus est la violence faite aux femmes est systémique, structurelle si vous préférez et pas seulement conjoncturelle.
Ensuite parce que le nommage, vilain terme qui consiste à donner un nom aux choses, permet de créer une catégorie sur laquelle on va faire porter tout le poids de l’acte. Or il y a en général une chaîne de causalité, dans laquelle d’autres individus et des rouages de la société sont impliqués, l’acteur final n’étant que le dernier relais d’une longue course. Mais nommer seulement celui-ci permet, entre autre, de canaliser la vindicte bien pensante sur une catégorie précise qui va seule subir les effets de la justice. C’est un peu « pas vu pas pris ». Tant qu’il n’y a pas décès on peut continuer. On voit là tout le rôle trouble des politiques qui, plutôt que de s’attaquer aux causes, se contentent de fabriquer des boucs émissaires qui font alors l’objet d’un suivi Insee, permettant de noter les progrès.
C’est une banalité de dire que notre société est sexiste, paternaliste et violente. Il ne s’agit pas d’excuser des actes inadmissibles, ce qui revient à les encourager, mais d’en comprendre la genèse afin d’en éliminer les causes. Assurément ceux qui frappent leurs femmes ou les femmes sont des personnes faibles qui trouvent mal leur place dans la société. Le rôle de l’homme est plutôt protecteur et pourvoyeur comme disent les Inuits. Seulement ce statut de protecteur n’est possible que si la société le lui reconnaît concrètement. C’est-à-dire qu’elle accepte et promeut des individus conscients, responsables et autonomes. Ça fait longtemps que ce n’est plus le cas.
Et voilà que cet épisode du virus détruit un peu plus cette nécessité en ramenant l’individu au rôle unique de malade et de victime. On l’a vu, ce n’est pas en faisant continuellement des annonces truffées de pseudos-décisions que l’on peut rendre les citoyens conscients, responsables et autonomes. On a l’impression, chez nous, que la population est un obstacle à l’application des mesures prises pour son bien. C’est comme avec les enfants. Il faut donc contraindre les gens à respecter des mesures car ils ne comprennent rien et font tout de travers. Et du coup, les nommages ont fait florès : gestes barrières, distanciation sociale, immunisation collective dont aucun ne concerne l’origine du mal, mais qui tous sont quantitatifs. C’est pas eux qui vont arrêter l’épidémie ni les violences conjugales.
Michel Costadau
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