Ouf c’est fini. Les vaccinations ont commencé et le virus s’éloigne de nous comme un petit navire qui quitte lentement le port. Il y aura encore des victimes saisonnières mais psychologiquement nous sommes en train de changer de soucis. D’une certaine manière c’est dommage parce que c’était un sujet facile. A vrai dire les sujets faciles ne manquent pas : la cheville de Biden, les photos des violences policières, les pannes des télésièges, mais la période qui précède m’inspire aussi une réflexion sur la solitude. Surtout celle des personnes âgées.
Clairement c’est l’isolement qui est l’entrée de ce chemin où l’on finit par se retrouver seul sur une chaise à contempler la table vide.
Etrangement les jeunes ne peuvent pas ressentir la solitude. Ils peuvent être malheureux, ne pas savoir quoi faire, s’embêter, gueuler contre les parents, les grands ou les copains, mais pour éprouver la solitude il faut avoir créé une distanciation avec soi, il faut pouvoir se parler à soi-même. Et alors quand on n’a que soi pour discuter ou se raconter des histoires, ça s’appelle la solitude.
Le plus souvent c’est extrêmement passager, quelques heures ou quelques jours, mais quand les circonstances s’en mêlent ça peut devenir répétitif, chronique et beaucoup moins drôle. Car le fait de voir des gens, même plusieurs fois par jour ne permet pas toujours de faire vivre un lien suffisamment fort avec la société des humains. C’est quand on ne ressent de la part des autres que des relations d’assistance, que la solitude arrive et devient pénible.
C’est vrai la solitude est seulement un sentiment mais c’est le mal-être le plus existentiel de l’homme. En fait notre nature totalement sociale nous rend insupportable de n’exister que pour soi, d’exister seul. Paradoxalement ce ressenti ne conduit pas au suicide ni à la dépression mais à l’étiolement. A la lente dissolution de l’être dans un labyrinthe moral sans repères. Et la fin de vie offre beaucoup d’occasions de cette dilution dans l’absence, dans le vide.
Du coup il est facile, de se rendre compte que le concept de maison de retraite est foncièrement dévastateur. C’est la destruction systématique de tous les repères. Là, les gens n’ont pas la clé de chez eux. J’ai dit les gens, mais j’aurais voulu dire les habitants. Oui il y a des gens qui habitent en maison de retraite et non seulement ils n’ont pas la clé de chez eux, mais ils ne peuvent ni fermer ni ouvrir aucune porte et surtout pas celle qui conduit dehors, plus précisément conduirait dehors, car outre qu’elle leur est interdite, ils se l’interdisent eux mêmes. En général ils ne connaissent personne, ils n’ont aucune responsabilité et en plus, comble de la déchéance, on est très gentil avec eux.
Alors il ne s’agit pas d’opposer le « rester chez soi » à « être en maison de retraite », mais de comprendre qu’il n’y a pas d’âge pour être irresponsable, même pas de soi.
Evidemment la solitude n’est pas une maladie et donc ne se soigne ni avec des remèdes ni avec des tours de magie, mais une piste de solution est là : même en maison de retraite il faut quelqu’un dont s’occuper. Car pour s’occuper d’eux on s’occupe d’eux, mais il n’y a pas de réciproque.
Et dans la vie sans retours, sans échanges, sans partages personne ne peut continuer à exister.
Michel Costadau
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