Hello, ce matin j’ai apporté diverses denrées sur la ZAD de Sivens et les impressions fortes ne manquent pas.
D’abord merci pour ce que vous avez donné (il y avait plus de personnes dans le mail initial mais toutes n’ont pas répondu) ça servira et même rapidement.
Ensuite la boue (bottes super indispensables), les flaques et une impression de campement rom après expulsion par les GI. Image : un grand costaud torse nu creusant à la binette l’évacuation d’une flaque, et des flaques il y en a.
Ensuite une absence apparente de la moindre organisation.
Je retourne à la voiture et je prends la farine pour la donner à cette boulangère.
Enfin des jeunes encore des jeunes et pas que des parlant français.
A la métairie, on décharge les couvertures et les vêtements car il y a un endroit pour ça et je tombe sur (comme je ne sais pas son nom je dirais Djam) Djam qui me dit qu’il faut en garder pour le fort et aussi la martinique mais on donne quand même les lapins et un bouteille qui s’avère de l’huile d’olive, ainsi que potiron, lentilles, pois chiches et ail.
Djam me dit que justement il veut aller au fort et qu’il va avec moi. Toujours la boue et ça glisse mais ça passe. En passant il m’indique un petit campement isolé en me disant : lui on l’aime pas, il est tout seul, il nous vole (de la ferraille apparemment) alors on lui donne rien. Plus loin 8 ou 9 zadistes sont debout en rond et il me dit que c’est une discussion. On arrive au bout de là où on peut rouler et Djam appelle des gens pour décharger les patates, les fruits au sirop (dommage que ça soit pas de l’eau de vie), les piles et les reste de nourriture. Y en a un seul qui vient avec un accent genre Suède et on met tout sur une table assez garnie d’ailleurs. En passant Djam avait vu qu’il y avait un saucisson et aussitôt celui-ci disparaît dans sa poche. J’en ai marre de bouffer leurs légumes à la fin explique-t-il.
Dehors dans une cagette des sacs plastiques, c’est de la merde me dit-il (je ne sais pas si c’est à vocation belliqueuse ou écologique).
On s’engage dans la boue pour porter la pelle et le râteau dans le fort avec le pack de bière qui a été super apprécié (la kro ça fait pisser, la lager c’est mieux). Je m’attarde un peu sur les lieux pour voir laver des choux fleurs à un tuyau. J’ai demandé si c’était un captage de source, réponse oui.
Djam était prêt à repartir (je me demande pourquoi il voulait aller au fort). On essuie le plus gros de la boue et on repart. Djam parle sans arrêt, il ramasse des champignons, il a une tente propre mais je ne vois pas laquelle, il se demande si les gendarmes ne sont pas planqués dans une maison abandonnée qu’on voit au-dessus. On repasse à la métairie et je demande s’ils veulent une cuisinière (en fonte). Bien sûr pas de problèmes on va la mettre dans la cheminée. Je laisse Djam et je repars vers l’entrés de la ZAD. En passant quelqu’un me demande si je vais à Gaillac. Je dis oui et il embarque. C’est Fred qui est boulanger photographe, dont les affaires ont brûlé en septembre. Il a des messages sur son mobile. Il me dit que sa copine ne veut pas qu’il aille à Albi cet aprèm et qu’elle est maline parce qu’elle ne lui dit pas qu’elle a peur qu’il y aille mais qu’elle a envie de le voir. Pour Fred, la ZAD c’est le rassemblement de toutes les personnes qui ne veulent pas de la vie sur mesure que leur propose le système et qui acceptent les gens comme ils sont végétariens ou voleurs. Fred dit qu’il va falloir qu’il retrouve un boulot car il n’a plus rien et pas de compte en banque. Pour lui la ZAD c’est aussi la dissociation de l’argent et du boulot. En repartant, on s’arrête chez Pierre pour lui donner de la bière (ce n’est pas un zadiste mais il est très accueillant). Il était en train d’être interviewé par je ne sais quel magazine et il s’y prêtait de bonne grâce.
Maintenant quelques réflexions : Le fort, vous n’allez pas me croire mais c’est modèle château fort avec douves profondes et pont-levis (en palettes pour le moment). Bien sûr ça ne résisterait pas trois secondes à une attaque de GI, donc le sens est ailleurs. Alors il y les fleurs et les bougies pour Rémi (ni pardon, ni oubli), il y a une vie de tribu (c’est quand même les filles qui lavent la salade) et un grand sentiment d’être hors de ce système pourri.
L’organisation n’est pas du tout absente en fait, chaque lieu a un nom, que je n’ai pas retenu, mais c’est nommé. Les échanges sur le partage des besoins sont quotidiens et les échanges aussi me semble-t-il. Beaucoup de discussions en cours comme abattre la deuxième butte de terre sur la route, y a des pour et des contre.
La précarité est paradoxale avec une grand différence intérieur extérieur. Autant l’extérieur est un peu décharge, autant l’intérieur semble relativement confortable, tissus couvertures, tables basses.
J’ai senti ma présence comme transparente, c’est dire ni hostilité ni indifférence mais une énorme immédiateté, tu restes on parle, tu t’en vas au revoir.
En y allant je me disais que peut-être je proposerais d’y retourner entre Noël et jour de l’an. En repartant je me demandais si je ne devrais pas y retourner la semaine prochaine.
Bref il se passe vraiment quelque chose du côté de l’esprit dans cette ZAD (et à NDDL aussi je suppose). La seule limite, mais elle est énorme, c’est que ce sont des jeunes et qu’à cet âge-là tout paraît possible. Je crois quand même qu’il faut que nous fassions tout ce que nous pouvons pour que ça dure au moins quelques années. Après on verra.
Bises A+
Michel Costadau
Mail envoyé le 19 novembre 2014
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