Mais j’ai du mal à bouger car je suis sûr que ce n’est pas un ballon de foot malencontreux qui a cassé les deux planches. Fragiles certes mais elles tenaient encore. C’est plutôt quelqu’un et ce qui m’inquiète c’est qu’il n’y a pas de paquet. Il y aurait un colis j’aurais compris parce que c’est mon métier. Je suis livreur. Indépendant, livreur en main propre sans reçu ni signature. Mais il n’y a aucun paquet. Je m’approche quand même de l’échancrure. Je vois que c’est facile à réparer en clouant les planches cassées avec une plus solide. Je ferai ça cet aprem ou demain.
En attendant je regarde mon travail de la journée. Deux livraisons. Belinda boulevard Voltaire et Marcuso porte de Vanves.
J’aimerai savoir qui quoi comment m’a fait cet accro dans la palissade. Je n’ai pas peur, juste un peu soucieux, comme tout le monde devant l’inexpliqué. C’est sûr que les choses qui n’ont pas de raisons sont difficiles à comprendre et foutent la trouille. C’est pour cela que l’on a inventé la folie et toutes ses déclinaisons, juste comme un essai d’explication de comportements inexplicables. Comme s’il y avait une logique dans tout. La dinguerie c’est un fonctionnement normal, mais dont on ne connaît pas la raison. C’est pareil pour la matière ou l’univers, vu que l’on y comprend rien on a inventé la science qui fait une manière d’explication avec des démonstrations qui s’enchaînent les unes les autres mais sont basées sur des principes supposés, qui eux ne le sont pas. Idem pour le vivant dont on se demande vraiment ce qu’il fait là et pour lequel on a inventé les dieux, la religion et la loi. Quand je dis « on » il s’agit d’un ensemble d’hommes et de femmes qui ont beaucoup travaillé ont reçu de prix mais n’ont toujours pas trouvé.
Bref je me pose des questions et je n’ai aucune réponse, pas plus que les autres. Bon je vais faire ma première livraison, on verra après. Je mets mon foulard de sortie, le noir avec des croisillons jaune éteint.
J’arrive chez Belinda enfin à l’adresse. Je sonne. La porte s’ouvre sur une femme jeune, plutôt pas mal mais très peu souriante.
-Oui,
-Bonjour j’ai un colis pour vous que je dois remettre en main propre,
-Bon d’accord donnez-le moi,
-J’ai d’abord trois questions à vous poser,
-C’est quoi ces questions ?
-Vous réussissez très bien un gâteau au chocolat dans lequel vous mettez un ingrédient spécial,
-……Ah oui je mets de la poudre de cacahuète grillée,
-Votre père que vous n’avez jamais connu a un frère qui a une particularité sur le visage,
-……Oh oui, mon oncle n’a pas les deux yeux de la même couleur,
-Vous avez sur la cheville droite un tatouage rouge qui représente un astre, lequel ?
-Hii oui c’est Saturne,
-Pouvez-vous me le montrer,
-Euh oui bien sûr.
Je vois la planète olympique sur sa cheville. Ok c’est bon.
Je me recule légèrement pour attraper le paquet que j’avais planqué su le côté et je le lui remets en lui disant au revoir.
Je retourne à l’appart pour casser la croûte, puisque les connards d’en haut ont peur que l’on fasse un bon repas avec des collègues des fois qu’on dise du mal d’eux.
Comme d’habitude je prends le café dans mon jardinet sur ma chaise de jardin qui a pas mal vécu. Je suis comme je peux le vol majestueux, impérial et virevoltant des hirondelles. Elles glissent dans l’air en dérapant dans les tournants. C’est le contraire du vol battant, puissant et allongé des canards. C’est comme je l’ai dit l’un des deux meilleurs moments de la journée. Pas pour longtemps. En regardant le trou dans la demi-palissade je vois qu’il y a une enveloppe collée dessous.
Michel Costadau
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