Je le trouve dans le jardinet en train d’observer les bourgeons de la vigne. Il y en a beaucoup, il y en a toujours beaucoup, mais après la floraison il ne reste souvent pas grand-chose. Pourtant elle est à l’abri. Je lui dis que je vais faire des courses et lui demande si des tripes pour midi ça lui va. Il me répond plutôt oui, mais sans enthousiasme me semble-t-il. Je lui confirme tripes, pâtes, salade et corbières. Je m’éclipse avant qu’il réponde car je n’ai pas tellement envie de changer de menu et les tripes en boîte c’est bon et c’est facile. D’ailleurs faudra que j’essaie un jour les tripes en gelée chez le charcutier, une autre fois.
J’attrape mon foulard et me voila parti pour l’épicerie locale, dont cependant les produits n’ont rien de locaux mais sont plutôt de diverses origines non contrôlées. Ce sont les ONC et ce qu’il y a marqué sur la boîte ou le sachet est un simple enfumage, comme si toutes les chips étaient faites à Paris.
Le magasin est assez plein mais seules quelques rares personnes jettent un œil à mon foulard sous le nez. Je croise un voisin que je ne reconnais pas à cause de sa muselière. Je ne crois pas être beaucoup plus reconnaissable, puisque les foulards sont l’emblème des cow-boys, dévaliseurs de banques et autres cambriolages. Bref lui il me reconnaît, me dit « bonjour ça va très bien merci tant qu’on a la santé rien à dire le bonjour chez vous ». Je ne réponds évidement pas, à part « hum, hum, hum », de toutes façons pour dire quoi, que je le trouve laid et pénible, c’est peut-être pas la peine.
Pénible c’est certain, laid ça se discute, pas avec lui bien sûr parce qu’en plus il est niais. Bon faut que je me calme parce que je n’ai aucune envie de me défouler sur lui. Si je réfléchis, c’est plutôt Timor qui m’agace un peu à ne pas vouloir quitter le Sud.
En fait, je manque d’arguments pour le décider, tout en sachant que c’est lui qui a la clé et la porte, ce qui laisse une bien étroite marge de manœuvre à ses amis. Il est à la fois très facile et très difficile d’influencer les gens.
Facile parce que le fait de dire à quelqu’un ce que l’on pense est la plus part du temps entendu, mouliné, digéré avec souvent des effets, bien que pas toujours dans le sens souhaité.
Difficile parce que les paroles sont loin de suffire. Les gens ont souvent des modèles ancrés dans l’esprit qui impulsent leurs actions beaucoup plus que les copains ou autres relations. D’une certaine manière, ils n’entendent pas ou alors dévient ce qu’ils entendent vers les contours de leur mode de pensée et ne comprennent pas ce qui a été dit.
Par contre il est certain que l’on ne parle pas assez ; le fait de dire a été très longtemps coiffé par l’esprit bourgeois et la religion, ce qui est un pléonasme, d’un relent d’incursion inappropriée dans la vie privée. Alors que c’est le contraire qu’il faut pratiquer : dire ce que l’on pense, ce que l’on sait, ce que l’on souhaite. Il faut vraiment être abruti pour croire que les gens vont comprendre tout seuls que leurs comportements ou leurs idées sont mal ressentis, en décalage avec la réalité voire fausses ou dangereuses. L’antidérapage est le cas le plus classique. Quand un groupe de copains se met à déblatérer sur les femmes, les arabes ou les homos, la pente naturelle est que tout le monde surenchérit avec la blague la plus bête, de plus en plus bête, tout le monde se marre et c’est vrai que c’est souvent drôle. Mais quand quelqu’un ose dire qu’il n’est pas d’accord et que ces propos sont dégradants pour celui qui les tient, il se crée un froid et en général ça se calme : bof on disait ça pour rigoler, mais dans le fond on le pense pas. Et moi il me semble que quand on le pense pas eh bien on le dit pas.
Michel Costadau
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