En fait la possession ne fait pas partie des gènes du vivant à cause de son aspect éphémère. La mort interdit toute forme de possession, même si certains ont essayé de contourner cette loi avec les notions dynastiques. Cette manière d’essayer de conserver les possessions d’un individu à l’intérieur d’un groupe fermé est encore très pratiquée.
Cependant pour affronter ce mur, plusieurs comportements sont alors utilisés. Le premier est de se contenter de ce que l’on a. C’est cette attitude qui a créé l’esprit bourgeois cher à Molière et encore bien présent de nos jours. Evidemment avoir plus est aussi une démarche très pratiquée mais se concentre, aujourd’hui, sur l’argent. Il fut un temps où beaucoup avait un sens. Beaucoup de femmes, beaucoup d’esclaves, de soldats, de maisons, de terres, de pièces d’or. De tout cela il ne subsiste que l’argent. Ce qui était mesure de la valeur et moyen d’échange est devenu le seul bien faisant la différence et donnant du pouvoir réel et sans limites. Certains cependant refusent cette fatalité de la possession et se tournent vers des formes communautaires ou au moins partageuses. La forme monastique est de la même veine mais, en plus, avec isolement et solitude. C’est assez difficile à supporter sauf que ça se place en amont du « je vois » ce qui facilite la tâche. Cependant la possession de masse de produits de consommation est quand même un phénomène récent et les comportements face à cette situation ne sont pas très encourageants.
Mais nous ne devons pas parler que des hommes, parce que la vision des femmes est un peu différente et très intéressante.
Certes la séquence « je vois, je veux » est tout aussi présente chez elles, mais l’étape suivante n’est pas « je prends » mais plutôt « je donne ». C’est-à-dire le contraire. Bien sûr il y a le poids de la violence masculine dans ce choix, qui n’est peut être pas aussi libre que ça, mais quand même il semble bien que leur disposition naturelle ne soit pas à l’affrontement mais à l’échange. Car prendre c’est bien mais après ? Les hommes ont une gestion de la durée plutôt négative, avec un sentiment d’ennui si rien ne se passe. Les femmes oui, elles aiment les choses qui durent.
Et dans l’échange il faut que chacun donne. Les femmes ont tendance à commencer par cela, pas les hommes.
Je l’interromps pour lui dire que je dois rentrer chez moi, mais que je repasserai. Je cherche le copain de Bulan mais il est déjà reparti. Retour à la maison. J’ai juste le temps de me préparer un repas simple : dos de cabillaud, riz long, précédés de la salade et suivis du fromage. Et d’une petite sieste.
Je consacre l’après-midi à faire deux livraisons en banlieue. En rentrant, je me mets à la recherche des caméras et je n’en trouve aucune. Il faut dire que je ne sais pas trop quelle forme a ce que je recherche et mon œil n’a donc aucun élément pour l’aider. D’habitude dans le jardin quand je cherche quelque chose que j’ai perdu, je jette un objet identique dans l’herbe et je le fixe pour donner à mon regard des indications. Ensuite je sais ce que je dois trouver et souvent ça marche. L’œil est, de loin, l’instrument le plus précis dont nous sommes dotés. A vrai dire, c’est plutôt l’oeil plus le cerveau bien sûr, mais il n’empêche que nous avons là un instrument extraordinaire de précision, aussi bien de près que de loin. Certes la vision nocturne est très limitée mais par exemple la verticalité est aussi bonne que le fil à plomb.
Le soir Bulan me téléphone pour me dire que ses sœurs vont monter à Paris dans deux trois jours pour une semaine. Bonne nouvelle.
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Dès mon café avalé je téléphone à Timor pour l’informer du voyage à Paris de Sazak et de sa sœur Taqui. Il n’est pas là, je lui laisse un message et cinq minutes après il rappelle. Il me dit qu’il doit justement remonter à Paris dans quelques jours et que ça sera l’occasion de se voir. Il ne me semble pas avoir été au courant avant moi mais je n’en suis pas sûr. Il me demande si, comme d’habitude, il peut loger chez moi et je lui réponds que bien entendu je compte sur lui. Nous parlons cinq minutes de son boulot, qui va moyen, et raccrochons.
Michel Costadau
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