Le problème c’est qu’il n’y a pas de bergers en ville. Moi qui misais sur la possibilité pour Timor de faire les marchés de la région parisienne, je suis un peu dérouté. Je n’ai pas vu le coup venir et pourtant ça se recoupe assez bien avec son goût pour la solitude, la lecture et l’indépendance, que je lui ai toujours connu. Je sens que je vais être obligé de l’aider à réaliser son rêve, car je ne souhaite pas qu’il reste dans cette insatisfaction. Mais comment ? Peut-être a-t-il un plan, un chemin, une piste pour y arriver ?
En reprenant la discussion, il m’avoue qu’il n’a pas encore cherché de moyen d’y arriver, mais qu’il a pas mal de copains dans l’élevage qui lui donnent des idées, mais qui ont déjà des bergers. Il faut donc élargir la recherche, ce qui n’est pas difficile car des Albères au Capcir il y a du monde et de la place. Bien sûr les bergers du coin sont plutôt catalans, mais il doit y avoir de la place parce que le métier est peu attractif.
Nous parlons un bon moment de tout ça en ingurgitant nos apéros. Je l’informe qu’il y a des caméras dans la maison pour quelques jours, à vrai dire je ne sais pas très bien où, pour qu’il essaie de s’en souvenir. S’il faut les débrancher toutes je dois pouvoir le faire. Il est surpris et après réflexion me dit qu’il préfèrerait qu’elles soient débranchées. Je les débranche donc comme me l’a montré l’installateur.
Cette fois j’ai fait de la soupe de petites pâtes, facile et réconfortante. Presque à la fin du repas, je me hasarde à lui demander s’il a des nouvelles de la venue des sœurs de Bulan. Sans hésiter il me dit que Sazak l’a prévenu de son arrivée et qu’ils ont convenus de se voir. Me voila rassuré, cette affaire marche toujours, mais je ne sais pas s’il lui a parlé de ses rêves.
***
Sazak doit arriver en fin de matinée et nous allons déjeuner chez Bulan. Je sors acheter une bouteille de vin et j’opte pour un Rasteau, non pas en vin cuit mais en rouge corsé. Timor est déjà parti, je finis d’entretenir le jardin dont la palissade n’a pas bougé. Mais il y a toujours des fleurs fanées ou des ronces ou des branches à couper, à condition d’avoir un sécateur en main. C’est pour ça que, sur la table de mon appentis, il y a toujours mon sécateur. Je range les outils avant d’aller chez Bulan.
Timor est déjà là, mais pas les soeurs. Par contre sa mère se manifeste et nous acceuille en souriant. Je lui tiens compagnie pendant un quart-d’heure, quand la porte s’ouvre sur les arrivantes attendues.
Sazak je la connais déjà, mais je découvre sa sœur. Le moment de l’arrivée passé nous allons dans la salle à manger, enfin pas tous parce que Timor et Sazak se mettent à l’écart, sans se quitter des yeux. Ils sont à 50 cm l’un de l’autre mais ils bougent ensemble extrêmement lentement et je sens une formidable onde qui les relie, qui les enveloppe et rayonne même jusqu’à nous. Je bade devant ce rare spectacle de la puissance de l’attirance. Il y a une magie dans la lenteur de leurs mouvements qui joue cette lente ballade, comme un ballet suspendu. J’ai le sentiment que si leurs doigts se touchaient où seulement s’effleuraient, il y aurait une étincelle ou un éclair qui jaillirait pour diluer la tension.
Pendant ce temps, sans que je m’en rende compte, Taqui s’était littéralement jetée sur moi. Elle me parle et je n’entends rien. Apparemment il n’est pas dans ses habitudes de parler dans le vide, alors elle hausse le ton et me prend le bras. Du coup, un peu surpris, je me tourne vers elle, bonjour me dit-elle.
-Je suis Taqui la sœur de Bulan, comment allez-vous ?
-Ah oui, excusez moi, j’étais un peu distrait, mais je suis ravi de faire votre connaissance,
Michel Costadau
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