-Je ne connais pas d’autres façons de faire et je ne vois pas quel mérite je pourrais avoir, je suis comme je suis et si, par hasard, je suis la seule à le savoir, tant pis,
-Je vous propose de suspendre notre aimable escarmouche pour rejoindre les autres, qu’en pensez-vous ?
-Ça me va très bien.
Nous nous installons donc à table. C’est Bulan qui fait le service et sa mère qui anime une discussion qui tourne sur l’éducation. Inépuisable sujet dont le contenu est très vaste, allant des Grecs à Internet en passant par la Troisième République mais dont la convergence est inévitablement le massacre actuel consistant à dégoûter les enseignants et les enfants de l’école en laissant ainsi libre cours aux parents pour remplacer l’institution défaillante.
Enfin pour ceux qui le peuvent.
A la fin du repas Bulan nous propose de prendre sa guitare pour accompagner Taqui qui, bien qu’elle se défende d’avoir un don, a envie de chanter. Et ça vaut vraiment le coup. Elle nous régale d’abord avec des chansons assez lentes venues d’Egypte, nous dit-elle, qui résonnent pour moi comme les complaintes des anciens esclaves américains. Des airs de bagne peut-être ? Puis Bulan se met à chanter avec elle. Leurs voix, au décalage mélodique bien ajusté, me font une sourde boule dans le ventre qui remonte rapidement, comme une bouffée d’émotion, aux yeux. Ca ne déborde pas mais c’est tout juste. Oui certaines ambiances musicales ou visuelles me touchent énormément.
Comme ces chants de grandes foules que l’on n’entend plus guère que dans des stades ou quelques manifs. Ces chœurs humains gigantesques ont une puissance qui me laisse tremblant. Ils doivent atteindre quelque choses de profondément enraciné en nous pour avoir ce pouvoir. Il n’y a pas que la vibration qui nous pénètre, mais aussi un sentiment d’appartenance, de partage, comme une naissance renouvelée. Je suis certain que cela comble une profonde blessure humaine, celle d’être trop souvent coupé des autres. La nature a vraiment bon dos, mais là elle s’impose pour rappeler que l’homme n’est pas un solitaire mais un vrai grégaire qui ne se conçoit pas seul ou en couple mais appartenant à une tribu, à une masse, l’homme appartient plus aux autres qu’à soi-même.
Néanmoins, pour certains, ce théâtre antique de la fusion humaine a des relents de manipulation, de déviation, de dépossession. C’est vrai que les grands rassemblements ont quelque chose de malsain, parce qu’ils sont organisés, contrôlés, animés par des professionnels du bourrage de crâne.
Je fais une grande différence entre les concerts, les raves, ou il y a participation sans compétition et sans trophée, et les jeux du stade qui sont du ressort de la guerre. C’est vrai que je n’aime pas du tout entendre une foule chanter la Marseillaise probablement à cause de sa connotation morbide, mais, par contre, je vibre en entendant le Vin Grec ou les Corons.
Je ne suis pas sûr, si j’y étais, que je mêlerais ma voix aux autres, parce que j’aurais l’impression de moins entendre, de perdre quelque chose. J’ai besoin de côtoyer, pas de m’immerger. Depuis longtemps je vis sur le côté. Je suis dans la société mais au bord afin qu’elle ne me submerge pas, qu’elle ne m’absorbe pas. C’est pour ça que la période actuelle est pénible.
Paradoxalement, les chants religieux ne me provoquent aucun élan, ni les opéras dont les chorus sont souvent dérisoires et feraient un flop au stade. Cependant, il y a dans quelques mélodies de nos classiques, classique ça veut dire vieux si vieux qu’il n’y avait rien avant, des envolées qui sont assez accrochantes.
Remis de mes émotions je me propose de rentrer chez moi en disant encore grand merci à nos hôtes. Je suis imité par Timor et nous regagnons tranquillement la maison. Avec une petite surprise.
Michel Costadau
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