Pour une surprise c’en est une : Sazak et Taqui nous attendent sur le pas de la porte. Passé ma stupeur, je me dis que pour Sazak je peux comprendre qu’elle veuille retrouver Timor, mais Taqui je ne vois pas bien ce qu’elle fait là.
Evidemment elles rigolent tant qu’elles peuvent pour le bon tour qu’elles nous ont joué.
Bien que la porte ne soit pas fermée elles attendent que je l’ouvre et nous rentrons tous. Timor me dit qu’il va dans sa chambre avec Sazak pour discuter. Je propose à Taqui de prendre une boisson. Elle est d’accord pour un café et moi je prends de l’eau gazeuse parce qu’il est presque 16 h et c’est donc trop tard pour un café. Nous nous asseyons autour de la table de la cuisine et elle me demande que je lui reparle de sa mère.
-Vous savez j’écoute quand même ses bavardages mais je voudrais savoir de quoi vous parlez,
-Oh des hommes et des femmes comme elle dit, ce qui englobe à peu près tout ce que l’on veut,
-Moi aussi j’aime bien parler des relations humaines, mais je ne suis pas d’accord avec grand monde. Il me semble que les gens sont devenus peureux, frileux et inconsistants,
-Vous voulez dire que les hommes ont découvert et occupé à peu près tous les endroits de la terre dans une immense et continue migration à haut risque et que maintenant, tout au moins dans notre pays, leur seul horizon c’est leur maison et leur retraite, c’est ça ?
-Ah je n’avais jamais réalisé qu’effectivement, c’est sans la sécurité sociale que l’homme a conquis la terre. Maintenant qu’il a et la terre et la sécu il ne fait plus rien de ses bras et de sa tête,
-Belle formule, mais vous les jeunes vous avez quand même des envies de découverte,
-C’est la découverte de nous-mêmes qui nous occupe le plus, pas celle de territoires ou de planètes. Nous sommes attirés par les autres jeunes mais en même temps nous avons le sentiment de ne pas nous connaître alors que les autres savent exactement tout de nous. C’est une impression évidemment. Il faut dire que nous ne savons pas très bien ce que nous aimons, autant pour les sensations que pour l’alimentation ou les parures. Alors oui nous faisons des essais mais toujours en croyant que c’est la seule solution et non pas un choix parmi d’autres. En d’autres mots, nous n’avons aucune expérience, je le répète parce que je l’ai entendu mais je suis de cet avis. Peut-être avons-nous plus confiance dans l’avenir que les gens plus âgés, c’est sûr, mais nous voyons bien que la majorité des adultes ont peu de moyens au regard de leurs souhaits. Je veux dire que bâtir un monde meilleur se limite, pour beaucoup, à choisir ses produits et son candidat. Certes c’est vrai qu’il y en a parmi nous qui tentent des expériences communautaires ou de partage de travail, mais avec des fonctionnements de durée assez limités quand même,
-D’une certaine manière nous disons un peu la même chose parce qu’en réalité il n’y a plus rien a découvrir de la terre. Euh je n’appelle pas le tourisme de la découverte, loin de là, ça relève plutôt du pillage,
-D’accord, je vous ai demandé de quoi vous parliez avec maman, parce que je la trouve d’un optimisme un peu décalé, vous ne pensez pas,
-Vous voulez dire décalé par rapport à l’état d’esprit ambiant qui est submergé par l’insécurité, le vandalisme, le réchauffement, les bulles financières et les contrôles sanitaires, c’est ça,
-Oui, il n’y a pas beaucoup de raisons d’être optimiste,
-Sauf que l’ambiance est plus créée par la communication médiatique que par la réalité. L’insécurité n’est pas plus grande qu’avant, loin de là. Elle est montée en épingle par les journaux et il y a, en ville, une misère visible entretenue par les politiques pour faire flipper les braves gens,
-Oui mais il y a aussi les flétrissures de l’âge, il est difficile de trouver ça drôle, enfin à mon avis,
-Je ne pense pas que votre maman trouve cela drôle, je crois plutôt qu’elle s’est donné la possibilité d’observer le spectacle de la vie, de la société,
Michel Costadau
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