Attention quand je dis simplicité ce n’est pas celle des benêts, des simplets, pas du tout c’est plutôt limpidité. Elle encourage le timide et ne gène pas l’imbu de lui même. Cette limpidité est celle des riches du cœur, je ne dis pas de l’âme c’est une notion trop vague. C’est vrai que la disponibilité spontanée, quelle qu’elle soit, est l’apanage des nantis. Des fortunés bien sûr, qui ne craignant rien n’ont aucune difficulté à être ouverts, accueillants, sympa avec tout le monde, mais aussi ceux dont la richesse est intérieure, qui se sont forgés un ensemble de connaissances, de convictions qui les habitent, les nourrissent et les rendent forts. Cette richesse là est très personnelle, non transmissible mais très difficile à construire. Comme tu le vois cette simplicité n’a rien à voir avec la fragilité, mais plutôt avec la solidité, la force. Mais une force qui ne cherche pas à détruire, à attaquer à ignorer, mais seulement à rester lucide dans l’affrontement, à répondre, à rester debout quoi qu’il arrive. A exister. Avec lui l’étrange c’était que l’on avait l’impression qu’il n’avait pas d’avis ou tout au moins qu’il n’essayait pas de ramener tout le monde à son avis. Il fonctionnait différemment. En général il entrait dans le point de vue de l’autre, ce qui amenait une grande confiance et donc permettait à l’interlocuteur de poursuivre sa pensée. Du coup, paradoxalement les amis et connaissances venaient lui demander son avis, lui qui n’en avait pas. En fait les gens venaient pour parler en sachant qu’ils seraient écoutés. Et encore plus paradoxalement lui qui n’avait jamais fait d’études connaissait les formules et les tournures pour différents publics. Il conseillait ses relations sur leurs courriers de demande ou de réclamation en sachant faire la différence entre une lettre à un préfet et celle à un propriétaire. Il savait même s’adresser à un évêque, certes la chose est moins courante mais en son temps ça a servi. Mais c’était une époque différente, par exemple pour obtenir un permis de conduire, il fallait venir à la préfecture avec sa voiture et l’épreuve n’avait pas toujours lieu. Quand je dis qu’il n’a pas fait d’étude c’est même qu’il n’a jamais été à l’école. Tout simplement parce qu’il a vécu la réussite puis la dégringolade de sa famille. La réussite c’était que l’argent presque à volonté, gagné à Paris dans le commerce d’après guerre, la première, qui s’est investi jusqu’en Dordogne dans des propriétés, des chevaux, des chasses enfin ce qui se faisait à l’époque. A ce moment là grand-père a eu un précepteur qui venait au château, mais son activité essentielle était les chevaux, la chasse et les sorties. Surtout les chevaux et le saut en hauteur. Avec sa jument Engoulevent il sautait plus de deux mètres. Il aimait les chevaux avec cette relation complexe d’admiration pour la performance et la noblesse du caractère. Car un cheval ne recule jamais quitte à se déchirer dans les ronciers, il avance. Certes me direz vous, ça frôle la bêtise et un chat ne le fera jamais mais un chat n’est pas noble, simplement orgueilleux. Quand on dit crever un cheval sous soi c’est la stricte vérité. Ce n’est jamais la monture qui s’arrêtera de galoper tant que son cavalier le lui demande, quitte à en mourir. Bien sûr le galop dit de chasse peut être maintenu très longtemps sans épuiser le cheval. En plus c’est assez confortable. Il est et reste bien difficile de communiquer avec un cheval car ses moyens d’expression habituelle, yeux, bouche, menton sont assez limités, à l’exception des oreilles qui elles sont d’une mobilité puissamment significative. Du coup il se manifeste plutôt par le corps, tremblements, grattements, courbure de l’encolure et bien sûr mouvements de fuite ou de saut. Ce n’était pas la belle vie, du moins il ne l’a jamais présenté comme ça car il y avait beaucoup de contraintes, car dès que l’on sort un peu du rang on est jamais seul. C’était la vie apprise au fil du temps et des évènements. Et les évènements allaient se précipiter et se montrer bien sévères.
Michel Costadau
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