Il me semblait qu’elle était beaucoup plus bienveillante avec mes soeurs qu’avec moi. Ce qui est probablement faux puisque étant l’ainé elle me tirait vers le haut, alors que ceux d’après ont un air de déjà vu. C’est le souci des familles nombreuses avec un couple unique. A part le premier et le dernier, tous les autres ont du mal à trouver leur place. A tel point qu’une voisine s’appellait Sixième, c’était son prénom et sa place dans la fratrie. J’ai dit que pour les aînés c’était plus facile, oui, mais à condition de prendre des risques.
J’ai toujours eu cette contradiction, Faire un truc sachant que c’est pas terrible et le faire quand même. Comme une espèce de provocation pour me prouver que j’en suis capable et en même temps une envie de me faire taper dessus. Mais en fait ce n’est ni masochiste ni schizophrène parce que dans pas mal d’occasions j’ai bien fait d’entreprendre plutôt que rester à attendre. Car il faut oser prendre l’initiative, la tendance générale est d’attendre en disant que ce n’est pas le moment, que l’on verra plus tard, ce qui engendre des situations assez inextricables. Mais, bien sûr, mon activisme ne marche pas à chaque fois.
Du coup maintenant avant de prendre une initiative j’essaie de me poser la question : est-ce que c’est ce qui convient, est ce n’est pas une grosse bêtise ou le genre de truc qu’il ne faut pas faire. Mais ça ne suffit pas parce qu’il y a, sous-jacente, l’impulsion pernicieuse de ne pas rester sans rien faire. C’est vraiment difficile à supporter, l’immobilisme. Je suis alors assez tenté de faire quelque chose qui est souvent n’importe quoi, voire contre-productif.
-Tu sais je partage moi aussi ton ressenti. J’ai eu et même encore ces doutes permanents. J’ai même créé un adage pour ces situations : « plus on est pressé moins il faut faire vite », oui dans l’urgence il faut aller sûrement ce qui est le contraire de rapidement. C’est paradoxal et pourtant facile à comprendre. Si vous avez un rendez-vous pour lequel vous n’êtes pas en avance, voire en retard, vous pouvez accélérer à fond au risque d’avoir un accrochage qui là vous mettrait carrément hors-délais. Il vaut donc mieux conduire prudemment et sûrement, quitte à perdre deux minutes pour prévenir que vous aurez un peu de retard. Clairement un évènement, anodin dans des conditions normales, peut prendre d’énormes proportions dans des situations d’urgence, genre, la nuit, faire tomber la clé, au moment d’ouvrir le local dans lequel il y a l’extincteur. Et c’est vrai aussi pour des évènements sans immédiateté, genre conflits industriels, familiaux ou guerriers. C’est celui qui craque le premier en précipitant les choses qui encourt le plus de dégâts.
-Nous c’est clairement une guerre familiale. Ce que tu dis me rassure un peu, mais je reviens à mes bribes de souvenirs. Tout ça pour dire que c’est après qu’il soit parti que la tension est montée d’un cran, car en fait il ne s’est pas tellement éloigné, il est resté autour de nous comme une ombre, un pointillé de traces qui nous empêchait d’être tranquille. Je ne te l’ai peut être pas dit mais c’est cette pression qui a rendu maman malade. Bien sûr elle en a toujours caché l’origine, prétextant des difficultés de plus en plus grandes à marcher. Et Taqui avait raison de se douter qu’il fallait voir un spécialiste. Comme tu le sais Taqui est très fine, elle sent les situations, un peu comme toi. Mais maman ne tient pas tellement compte des avis de sa fille, à cause probablement d’un certain égoïsme qu’elle manifeste en pensant beaucoup à elle.
-A vrai dire tout le monde devrait faire ça : penser d’abord à soi, tout au long de sa vie. Clairement il n’y a rien de plus honteux que de donner sa vie pour ceux que l’on aime. C’est une maxime débile du champ politico-religieux comme dirait Pierre Bourdieu. C’est simple, quand vous perdez la vie vous perdez du même coup tout moyen de faire quoi que ce soit à qui que ce soit. En plus rien ne prouve que celui pour qui vous donnez votre vie en soit content ou au moins l’apprécie. Fondamentalement votre vie ne vous appartient pas, vous ne l’avez pas créée ni achetée, non on vous l’a donnée. C’est un cadeau et vouloir s’en défaire c’est bafouer ceux qui vous l’ont fait. S’il fallait un propriétaire de votre vie ce serait d’abord ceux qui vous ont donné la vie. Vous n’êtes qu’un usufruitier de votre existence, avec pour seule mission de faire le même cadeau à d’autres.
Michel Costadau
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