Cette notion de force supérieure est intrinsèque à la pensée et non à l’être. Si la fourmi se mettait à inventer une force immanente capable de lui nuire, elle aurait fait un grand pas vers la création de croyance dans sa société. Mais elle n’invente rien, elle est un être qui ne sait pas. Par contre l’espace d’une seconde j’ai, justement, été celui qui sait, qui a la puissance totale et cela aussi a du donner des idées à beaucoup et a conforter certains dans leur envie de nuire.
Bien sûr dans la réalité je suis la fourmi et non le regard vide ou menaçant de l’univers. Pourtant c’est moi qui ait créé ce concept d’imprédictibilité et même d’impensabilité. La fourmi ne peut pas penser qu’elle est sous le coup d’une possible destruction.
Le parallèle avec la peur que fait régner sur nous le père de Bulan est évident et est loin de me rassurer tant le sentiment de fourmi illustre clairement notre impuissance. Mais nous sommes prévenus, plus ou moins organisés et déterminés à résister ce qui est sûrement le plus important.
Maintenant il me faut commencer mes livraisons.
La première est dans Paris intra-muros où le métro est le moyen de transport idéal. Je me change, prend mon colis et ouvre l’enveloppe des consignes. Je dois les apprendre par cœur et détruire la feuille avant de partir. Ce coup-là c’est un peu compliqué et il me faut un bon moment pour tout mémoriser.
Quand je suis prêt je prends le métro, non sans jeter un double coup d’œil pour voir s’il y a une particularité dans la rue et sur mon parcours. Rien à signaler. Je descends à Madeleine. Je cherche mon adresse qui est un rez de chaussé dans un immeuble un peu en retrait derrière une rangée d’arbre et un espace vert avec un portillon. Immeuble de standing, les habitants doivent être CSP++, ce qui n’est pas le plus agréable à fréquenter. Je trouve le portillon fermé avec un bouton pour l’ouvrir. Il s’ouvre. A la porte je sonne, sans rien entendre mais j’ai l’impression que ce n’est pas la peine de sonner à nouveau, car il y a du feutré dans l’air. Une femme, peut être de ménage, car elle a un tablier vient ouvrir et me demande ce que je veux.
-J’ai un colis à remettre à Mr Yvan Dorica,
-Oui, je suis Emma, c’est bien ici, je peux le lui donner,
-Il s’agit d’une remise en main propre et je dois m’assurer que c’est la bonne personne,
-Monsieur a du mal à se déplacer, ce serait plu simple pour vous de me le laisser je crois,
-Ce n’est pas possible, je dois lui poser quelques questions directement,
-Bien je vais aller lui demander, ça prendre plus que 5 minutes,
-Ce n’est pas un problème, je vous attends.
En fait j’attends presque un quart d’heure quand je vois arriver un homme en fauteuil roulant.
-Bonjour monsieur, lui dis-je. Mais il ne me répond pas.
-Est ce que vous pouvez parler ?
-Non il ne parle que le langage des signes, me dit Emma. Je peux faire l’interprète si vous le souhaitez,
-Non ça ne peut pas fonctionner comme ça, il me faut un contact direct avec mon client, autrement je ne peux pas donner le colis.
Je vois qu’elle traduit ma réponse et reçoit beaucoup de signes que je ne décode pas évidemment.
Mais soudain l’invalide se lève attrape une béquille non pas pour s’appuyer mais pour s’en servir de massue contre moi. J’esquive le premier balayage et le voila qui se met à crier :
-Vous en faites bien des manières pour me donner mon colis. Mais j’en ai besoin moi. Vous ne vous rendez pas compte. Je ne passe pas de commande pour m’entendre raconter des histoires à dormir debout. C’est lamentable. Donnez-moi le paquet immédiatement.
Au bout de trois ou quatre moulinet je sens qu’il se fatiguer et jette un œil sur son fauteuil et sur Emma qui n’avais pas bougé d’un millimètre. Cette fois elle lui approche le fauteuil dans lequel il se jette tout en gardant la béquille à la main. Le souffle un peu court je dois quand même lui confirmer ma position :
-Désolé, Monsieur, mais je ne peux transiger aux protocoles que vous avez défini et approuvé. Je vais donc vous quitter sans vous remettre ma livraison.
-Minable, vous êtes tous des minables. Aucun respect, vous ne valez rien, dit il en propulsant son fauteuil vers moi.
Michel Costadau
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