Je ressors dans le jardin devant l’immeuble et me dirige vers le portillon que je trouve fermé. Le bouton d’ouverture ne marche plus. Ils doivent avoir une commande à distance dans la maison. Qu’à cela ne tienne, il m’est facile de le franchir et d’aller prendre mon colis dans le renfoncement où je l’avais mis. Le tout tranquillement, non pas que je ne craigne pas mon client à cause de son invalidité, mais parce que je n’y suis pour rien dans le fait que ça s’est mal passé. Car ça s’est mal passé. Très mal passé. J’ai relevé trois fausses notes. La première c’est le comportement froid de cette Emma. J’ai eu le sentiment qu’elle n’avait aucune empathie pour son employeur. A moins que ce ne soit sa femme, ce qui expliquerait cela, mais elle n’a rien dit dans ce sens là. Pourquoi ce silence ? La seconde c’est le bluff du langage des signes. C’est une espèce de barrière supplémentaire à destination des gens comme avec tout mécanisme de traduction. Pourquoi cette barrière ? La troisième c’est sa sortie contre moi. Il a déjà, dû être livré par d’autres et donc il est censé connaitre les protocoles. Pourquoi cette violence ?
En méditant sur la nature humaine je rentre à la maison pour préparer ma deuxième livraison. Dire que j’ai le cœur à l’ouvrage serait un peu exagéré. Je fais ce que j’ai à faire, consciencieusement, voilà. C’est d’ailleurs, dans ma situation post choc, la seule manière de procéder. Il faut juste éviter qu’un enchainement de pensées se mette en place conduisant à la morosité.
Usuellement il est déjà difficile de lutter contre les enchainements d’idées. D’ailleurs c’est comme ça que jaillissent les découvertes, il faut donc les encourager plutôt que les éviter. En fait on ne peut pas grand-chose contre l’esprit. Mais lutter contre une tendance dépressive est quasiment impossible, d’où ma méthode de la concentration sur le factuel de mon travail ou de mon activité. La première pression de la pensée c’est de mettre dans l’esprit une tendance à vouloir finir au plus vite ce que l’on fait. C’est justement pour se trouver en possession de votre tête et poursuivre son idée fixe que ce besoin se met en place. Alors commence la lutte contre cette demande. Pas en ralentissant le rythme de l’activité, non plutôt en se concentrant sur bien faire ce que l’on a entrepris. Arroser le jardin, nettoyer l’atelier ou trier de l’ail peuvent se faire par dessus la jambe ou au contraire avec soin et application. Le résultat n’en est que meilleur. Le fait de vouloir bien faire les choses exige une certaine concentration qui évite à l’esprit de baguenauder et de s’engager dans ses propres pistes. De plus l’attention portée à bien faire ce que l’on fait déclenche des tas de questionnements sur le pourquoi, le comment et le si. Comment se fait il que les haricots ne poussent pas. Regardons : taupin, manque d’eau, température excessive, semence périmée. Voilà autant de sujets de réflexion qui emmènent la pensée loin des impasses existentielles dans laquelle elle voudrait se complaire.
Au contraire vouloir terminer au plus vite ce que l’on entreprend, conduit à une double pénalisation, d’abord un sentiment de culpabilité, parce qu’en général on va vite au détriment de la qualité, c’est-à-dire du résultat, et ensuite une certaine vacance de l’esprit, puisque l’on n’est pas préoccupé par ce que l’on fait mais par le fait de finir vite. Cela crée un vide qui associé à la culpabilité amène un mal être lui même à la base de la déprime.
Ma deuxième mission prête, je prends à nouveau le métro. Direction xxxxx cette fois. Petit repérage en sortant pour trouver la bonne rue. Toc-toc.
-Bonjour Madame, j’ai un colis pour Mme Denver Honorine,
-Oui c’est moi,
-Très bien, je dois vous poser quelques questions pour m’assurer que c’est la bonne personne,
-Ah bon c’est quoi la question ?
-Madame où étiez-vous le 13 avril 1925 ?
-Mais je n’étais même pas née, ah oui c’est le jour du mariage de ma grand-mère. J’étais donc largement en devenir, sauf son prénom Honorine, qui a été celui de ma mère puis le mien,
-Oui, vous êtes aussi une collectionneuse assez particulière, pourquoi ?
-Ah, je suppose que c’est notre passion à mon mari et moi des réveils et des montres qui retardent,
-Et comment faites vous pour vous assurer de ce défaut,
Michel Costadau
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