Même s’il fait un peu frais, je suis bien dehors sur une chaise un peu bancale mais assez confortable. Je monte les yeux vers le ciel en commençant par le haut de la palissade et mon regard se fixe sur une tête qui nous regarde. Je vois surtout des oreilles et un ovale de visage qui se met lentement à monter. La tête monte mais il n’y a pas de cou et de corps dessous, c’est juste une tête bientôt suivie d’une autre tête, exactement la même. Ça fait maintenant deux têtes, l’une au-dessus de l’autre qui montent doucement. Et apparaît une troisième tête qui suit les deux premières et se met à monter comme les autres. A ce moment une violente explosion retentit et les trois têtes explosent en même temps, suivi d’un ricanement grinçant, comme une pluie de petits clous rouillés.
J’étais assis, heureusement car je pars en arrière avec ce qu’il faut bien appeler une trouille monumentale et je me retrouve les quatre fers ne l’air dans la douceur de l’herbe nocturne. Je ne reste pas longtemps dans le décor, je me lève et me précipite vers la maison en criant : alerte générale, il est là, il ne doit pas être loin.
Certains ne comprennent pas, mais la famille Bulan s’organise immédiatement. Bulan et Taqui foncent vers leur maison pour prévenir Vienna qu’il a peut-être essayé de voir, en espérant qu’il ne lui est rien arrivé. Sazak, Timor, quelques invités et moi fonçons dans les rues avoisinantes pour essayer de le repérer. Mais autant chercher une aiguille dans une meule de foin, nous ne voyons rien ni personne. De toute façon nous ne savons pas du tout l’allure qu’il peut avoir et il a au moins une minute d’avance sur nous. Par acquis de conscience, après nos vaines recherches, nous revenons vers le trottoir derrière la palissade pour essayer de trouver quelques traces. Pas plus de traces que de beurre en broche, il y a quand même eu au moins un gros pétard et les têtes, même si c’étaient des ballons, elles ont éclaté.
Dépités nous rentrons dans la maison. Je vais chercher le fauteuil dans le jardin et c’est là que je vois les traces de l’explosion. Oh il n’y a pas grand-chose, mais il a tout jeté chez moi par-dessus la palissade. Quelques bouts de cartons, quelques fils et trois bouts de plastique. Je mets ça de côté, on ne sait jamais.
EÉvidemment la fête a pris un sacré coup dans l’aile, la musique s’est arrêtée et les copains nous posent des questions. Nous leur expliquons du mieux que nous pouvons qu’il s’agit de la vengeance de l’ex de Vienna. Avec l’assentiment général nous ouvrons une bonne bouteille de rouge pour faire le point. Nous décidons que Timor et Sazak vont passer chez Vienna et qu’ensuite une rencontre stratégique est nécessaire.
Timor parti, nous continuons la discussion pour entrer un peu plus dans le détail, à savoir le contour étrange du père de Bulan. C’est la lente révélation de sa haine pour sa famille qui est le plus surprenant. La copine arrivée la première fait remarquer que c’est à moi qu’il s’en est pris ce coup-là et que je ne fais pas partie de cette famille. C’est vrai, le fait que je sois un ami de Bulan n’explique sûrement pas tout.
J’en profite pour demander si certains veulent nous aider. La réponse est très positive, il faut dire que tous ont entendu la pétarade, ça doit y faire. En attendant le retour de Timor nous remettons un peu de musique, pas pour danser mais pour nous apaiser et échanger calmement.
De ces échanges informels il ressort que mon attention positive pour Vienna quand elle était convalescente a dû jouer un rôle. Son ex a pu imaginer que je lui avais administré le contre-poison de sa potion létale et en tirer quelque dépit. Cependant le problème de sa source d’information reste entier. Ce qui accrédite un peu plus l’idée qu’il nous surveille constamment, sans que nous le voyions.
Ça se tient, car lui ne sait pas qu’en fait Vienna avait une bonne réserve psychologique comme l’avait compris Taqui et que se comporter naturellement avec elle comme un ami avait suffi à la remettre en confiance suffisante pour ne plus avoir besoin de ses raideurs physiques.
Michel Costadau
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