La conduite du tracteur elle-même se traduit par un œil fixé sur la roue avant, droite ou gauche alternativement. Cette roue n’arrête pas de tourner et les crampons disparaissent pour aller se poser sur le sol à cet endroit imaginaire qui est son chemin. C’est cette roue qui suit la bordure de ce qui vient d’être fait, ou la ligne laissée par le traceur ou même une ligne virtuelle construite sur l’habileté du chauffeur. Car les marques du traceur, en sol sec sont souvent difficiles à voir surtout quand il y a quelques mottes. Il faut alors intuiter en devinant plus qu’en voyant la trace. En tous cas cette roue avant qui tourne est le spectacle, peu varié mais permanent, sur lequel je suis fixé. Et si tu la quittes des yeux, par exemple pour regarder derrière, ne serait- ce qu’un instant tu dévies assez rapidement. Et pourtant regarder derrière est indispensable parce que c’est là que travaille l’outil et ça demande, toujours des réglages qui se passent au champ. Ah oui je l’ai déjà dit mais je le répète qu’il est indispensable de descendre assez souvent du tracteur pour apprécier le travail, vérifier une horizontalité ou augmenter une profondeur.
Cependant le côté répétitif de ce travail ne doit pas être sous-estimé, loin de là. Les pistes de robotisation sont donc dans l’air, préfigurant des engins travaillant dans mes champs, sous la surveillance d’une salle de contrôle comme les métros ou les bus automatiques. Le paysan moderne est, donc, devenu un chauffeur et souvent il n’est plus que ça. Pour le business les avantages sont multiples. D’abord l’accroissement de la productivité : avec des outils larges et des tracteurs puissants un seul individu fait, en un jour un travail qui demandait, chez nous, une semaine il y a 15 ans. Je dis chez nous car la mécanisation est très variable selon les pays. Ceci permet avec le même personnel d’avoir des exploitations bien plus grandes. Bien sûr cette mécanisation va de paire avec des champs de plus en plus grands et c’est là qu’interviennent les organismes agricoles et gouvernementaux pour favoriser par tous les moyens cet agrandissement des champs et promouvoir l’agrandissement des exploitations. Ensuite la rentabilité liée aux primes à la surface. Les subventions européennes sont déclinées en France par des aides directes aux hectares cultivés. Ca veut dire que plus vous avez de terres plus vous touchez. Or il n’échappe à personne que l’économie d’échelle est un des fondements du monde financier dans lequel on nous fait vivre. Le mécanisme en est simple et repose sur le concept de coût fixe c’est à dire non proportionnel, comme par exemple le prix d’une heure de main d’œuvre ou d’un litre de gas-oil. Ce prix ne dépend pas de l’utilisation que l’on en fait ni de l’argent dont on dispose pour l’acheter.. Et donc si une machine deux fois plus puissante ne consomme qu’une fois et demi plus on y gagne beaucoup.
Et donc en agriculture si vous diminuez la proportion des coûts fixes, comptabilité, foncier, bâtiments, outils. ….. mécaniquement vous augmentez votre profitabilité. Et du coup la rentabilité des petites exploitations est complètement remise ne cause. Par exemple pour le matériel, si vous l’amortissez sur 20ha ou sur 200ha ce n’est pas pareil. C’est pourtant le même matériel car il ne faut pas croire qu’avec un tracteur de 40ch on peut passer partout et tirer tous les outils. Les petites fermes se rabattent donc sur du matériel d’occasion, Heureusement on en trouve encore à cause de la disparition précipitée du nombre de paysans. Mais ces matériels n’ont, évidemment, ni confort ni aide à la conduite, ni éclairage performant.
Ceci se traduit par un abime entre petits et gros. En fait les gros posent de nombreux problèmes. Ils accaparent les terres empêchant les petits de s’agrandir et les jeunes de s’installer. Les gros sont multi communes et ont beaucoup de transports qui occupent les routes. Ils créent aussi un message trompeur puisque d’un côté ils polluent fortement l’air et le sol, ils vident les nappes phréatiques, ils font monter le prix du foncier et d’un autre côté, ils donnent l’impression d’une agriculture prospère et qui investit avec des matériels rutilants alors qu’ils sont surtout endettés et donc aux mains des banques.
Michel Costadau
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