Le 19 juin 2023 notre avocate a déposé un recours en annulation contre l’arrêté d’autorisation environnementale du 1er mars 2023 pour les travaux de l’A69 Castres Verfeil. Ensuite le 7 juillet 2023 notre avocate a déposé un référé suspension demandant la suspension immédiate du même arrêté d’autorisation environnementale du 1er mars 2023 et dont l’audience est prévue le 26 juillet 2023.
Clairement il y a de bonnes chances pour que nous gagnions ce référé suspension. En effet dans l’esprit des juges il d’agit d’une affaire simple et solide dans laquelle toutes les étapes ont été franchies réglementairement : consultations, débat public, Déclaration d’Utilité Publique, choix des concessionnaires, enquête publique environnementale, arrêtés préfectoraux autorisant le début des travaux.
Il nous faut donc saper cette tranquille assurance des juges en faisant ressortir les éléments discordants et problématiques de ce projet. Et il y en a beaucoup.
Cependant un référé suspension demande une approche différente de celle pour le jugement du recours sur le fond, car dans un référé la justice a l’obligation de se prononcer rapidement.
Il y a donc comme première obligation de démontrer qu’il y a vraiment urgence et que l’on ne mobilise pas le tribunal pour un objet qui peut attendre.
En second lieu il faut que le tribunal ait quelque chose à suspendre, d’où la seconde obligation qui est d’établir clairement qu’il y a des travaux en cours et que c’est ceux là qu’il faut arrêter.
Enfin il faut démontrer qu’il n’est pas possible de laisser les travaux se dérouler jusqu’au jugement sur le fond et qu’il est nécessaire de les arrêter immédiatement.
VRAIMENT URGENCE
La commission d’enquête environnementale a émis un avis favorable avec une sérieuse réserve portant sur le prix du péage.
Cette réserve n’a été levée ni par le préfet ni par le concessionnaire.
Le préfet a balayé cette réserve en disant qu’elle était hors sujet. Or le péage et son prix font partie intégrante du dossier soumis au public. Le public et la commission se sont donc prononcés à juste titre sur le prix du péage. Le préfet a donc commis une grossière erreur.
Le tribunal, constatant que le préfet n’a pas levé la réserve, doit donc faire passer l’avis de la commission d’enquête publique de favorable à défavorable.
Or l’avis défavorable d’une enquête publique donne directement un caractère d’urgence au référé suspension.
Le concessionnaire non plus n’a pas levé la réserve car elle porte sur une réduction substantielle du prix du péage pour tous les utilisateurs et tous les véhicules. Dans sa réponse celui-ci n’a proposé des réductions que pour les véhicules électriques et pour certains abonnés.
L’avis de la commission est donc bien défavorable, l’urgence est confirmée et les juges ont à se prononcer.
Revenons sur l’erreur du préfet et demandons-nous pourquoi il l’a commise ?
Tout simplement pour pouvoir promulguer le plus rapidement possible l’arrêté d’autorisation environnementale permettant le début des travaux.
En effet le préfet est pressé car sa seule stratégie est celle de la course de vitesse afin de mettre le tribunal devant des travaux tellement avancés qu’il lui soit difficile de les arrêter.
Clairement ce n’est pas le cas aujourd’hui, puisque les travaux n’ont débuté que le 1er mars 23, c’est-à-dire il y a 6 mois et devraient durer au moins 36 mois.
Certes la mission confiée au préfet au moment de sa nomination a été de faire réaliser l’autoroute coute que coute. Il a donc fait de l’interventionnisme pour éviter d’avoir à lever la réserve au terme de longues négociations avec le concessionnaire.
Cependant cette stratégie de la course de vitesse ne manquera pas d’interroger les juges qui n’apprécieront pas de voir le préfet s’assoir sur le droit pour aller plus vite.
TRAVAUX EN COURS
Il est facile de constater que les travaux ont démarrés, en particulier pour le pont sur l’Agout. Le concessionnaire a aussi attaqué divers chantiers pour des bases de travail temporaires ou des bassins de rétention. Le concessionnaire ne nous ayant pas fourni le planning général de l’A69, il est difficile de mesurer l’avancement réel.
Néanmoins notre estimation donne les indications suivantes.
Avancement en délais environ 15%, réalisations autour de 5% et engagements financiers entre 5% et 10%.
Nous disposons de nombreuse photos et d’article de presse faisant état des travaux. Le tribunal est donc bien informé que des travaux ont démarrés et sait donc ce qu’il peut arrêter.
ARRETS DES TRAVAUX
Pour amener le tribunal à suspendre l’arrêté et donc les travaux nous faisons notre travail de sape en attaquant la légalité de l’arrêté d’autorisation environnementale.
En effet le dossier du concessionnaire présente tellement de lacunes que les juges auront un sérieux doute sur la légalité de l’autorisation.
D’une part l’étude d’impact ne porte que sur l’autoroute comme si celui était, à lui tout seul, la situation finale. La situation initiale étant la 126 actuelle.
Or la situation finale est composée de l’autoroute plus la 126 remodelée que le concessionnaire désigne comme l’« itinéraire de substitution ».
N’importe comment cet itinéraire fait partie de la situation finale et aurait donc du faire partie intégrante de l’étude d’impact.
Par exemple, les passages de faunes ne concernent que l’autoroute. Aucune étude de continuité des passages d’animaux n’a été faite en prenant en compte l’autoroute plus la 126 remodelée. Remodelée ça veut dire que les anciens passages de la 126 se trouvent chamboulés et auraient mérités une attention particulière. De plus le cheminement parallèle, presque continument, des deux infrastructures séparées parfois de moins d’une dizaine de mètres fait une double barrière dont l’effet peut être dissuasif pour beaucoup d’espèces animales.
Il en est de même pour l’eau et les ouvrages hydrauliques. Aucune étude globale de l’ensemble autoroute + 126 remodelée n’est fournie, alors même que nous sommes de l’aveu même du concessionnaire en zone inondable sur une grande partie du parcours. Des submersions ont déjà été constatée sur la 126 et l’évolution du climat montre plutôt que de tels évènements ont encore plus de chance de se produire. A nouveau une étude globale aurait du être fournie et manque cruellement.
De même le concessionnaire n’analyse pas l’évolution de la sécurité entre la 126 actuelle et la vraie situation finale, mais seulement entre la 126 actuelle et l’autoroute projetée. Or il est difficile de croire que la re-traversée des villages de Soual et Puylaurens puisse être une amélioration de la sécurité alors que les accidents avec les deux roues et les piétons, sans parler de trottinettes que l’on voit aussi hors agglomération, sont en continuelle augmentation. Les zones dangereuses de dépassement ne sont pas modifiées, de nombreuses sorties à droite ou à gauche sans haricots restent en l’état et les ralentissements dus aux engins agricoles demeurent un risque important. De plus de nombreux rond points font obstacle à la fluidité du trafic et imposent des ralentissements sources de danger.
Et que dire de la manière dont le concessionnaire annonce des gains de temps de parcours. Il n’est question que de l’autoroute projetée et non de l’ensemble autoroute + 126 remodelée. Une formule prenant en compte le temps et le nombre de véhicules aurait été la bienvenue, de façon à illustrer que s’il y a des gains d’un coté pour certains utilisateurs, il y a des pertes de l’autre pour au moins autant d’utilisateurs.
L’étude d’impact est donc incohérente et ne permet pas de juger de ses effets sur le territoire.
D’autres part le concessionnaire procède à un saucissonnage de l’impact du projet. Il essaie de jongler entre les impacts directs et indirects des travaux.
Par exemple l’impact direct du projet sur les terres agricoles, les bois, les zones humides, ainsi que sur les animaux et les espèces végétales est étudié et décrit dans le dossier. Cependant il faut savoir qu’un remembrement est prévu sur tout le parcours et porte sur des surfaces 20 fois supérieures à l’emprise de l’infrastructure.
Clairement le remembrement fait partie directement du projet.
Le remembrement projeté porte sur plus de 7 000ha et pourtant ne donne lieu à aucune analyse d’impact alors que des haies vont être détruites, des zones humides creusées ou comblées. Et de nombrasses espèces protégées mises en danger. Rappelons pour mémoire que les remembrements ont fait d’énormes dégâts dans le pays avec la disparition de 750 000km de haies, de talus, de mares et de zones humides qui font aujourd’hui cruellement défaut. Les juges se demanderont pourquoi les surfaces de remembrements n’ont pas été incluses dans l’enquête environnementale.
De même aucune étude de l’urbanisation résultant de l’arrivée d’une autoroute n’a été présentée. Or les autoroutes sont le principal vecteur de l’urbanisation des territoires traversés. Toutes les communes s’apprêtent à multiplier les lotissements, les zones artisanales et industrielles, à accueillir des centres logistiques, à faire des renforcements de voirie ou même des bretelles de contournements.
Qui plus est le concessionnaire se contente de dire qu’il n’y aura pas particulièrement d’impacts et que tout est sous contrôle. C’est exactement cela le saucissonnage. Reporter à plus tard l’étude d’un impact indirect plutôt que de le joindre à l’étude initiale. A nouveau l’étude présentée ne permet pas de juger de l’exhaustivité des impacts du projet.
Enfin le concessionnaire a fait une énorme erreur de raisonnement en indiquant qu’il n’y avait aucune autre solution pour fluidifier le trafic de Castres à Verfeil. Sa démonstration repose sur le fait que l’autoroute est la seule solution pour diminuer le temps de parcours. Or ce n’est pas ce qui est demandé par la loi. Ce qui est demandé, pour justifier l’autoroute, c’est de démontrer qu’il n’existe aucune autre solution qui fait gagner un peu moins de temps, par rapport à aujourd’hui, mais qui fait beaucoup moins de dégâts environnementaux que l’autoroute + la 126 remodelée.
Par exemple le concessionnaire n’a pas étudié les impacts environnementaux de la mise en œuvre de la solution ministérielle initiale d’aménagement de 1994 qui a permis entre autre d’avoir les rocades de Soual et Puylaurens. Les juges vont donc se poser la question : mais est ce que le concessionnaire a vraiment cherché une autre solution qu’une autoroute en site propre.
Le concessionnaire, pour justifier une autoroute, a mis en avant plusieurs arguments comme le désenclavement de l’agglomération Castres/Mazamet, ou un bassin d’emploi désavantagé régionalement, voire la réparation d’une injustice, mais le seul critère plus ou moins mesurable est le temps de parcours.
C’est donc à l’aune de ce critère que doivent être évalués les dégâts environnementaux. Et c’est la diminution de ces dégâts qui doit guider le choix d’une solution et non l’augmentation du temps de trajet comme le concessionnaire a eu le tort de le faire dans son dossier.
Ainsi seul un tableau, appuyé sur des études détaillées et donnant pour divers temps de parcours croissants une liste des gains environnementaux pourrait permettre de faire le choix de la meilleure solution. Ce tableau, ni même son ébauche, ne figure dans aucun des documents du dossier.
D’ailleurs la reconnaissance par les juges de l’absence de recherche de solutions alternatives sera le déclencheur de l’avalanche d’illégalités qui entache ce projet.
Depuis la mise à l’écart de la solution ministérielle gratuite, en passant par la question tronquée du débat public ou par la réserve encore ouverte de la DUP sur la traversée de Soual et Puylaurens pour arriver aux irrégularités de l’enquête environnementale et aux affirmations péremptoires sur les bienfaits magiques d’une autoroute en 2050, rien dans ce projet n’a été fait sur de bonnes bases et il n’est donc pas étonnant qu’il s’écroule aujourd’hui.
Michel Costadau
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