On vient de parler de bien commun et d’intérêt général. Mais dans la rubrique intérêt il y a aussi un candidat intéressant, c’est ce qu’on appelle d’une manière assez soft le conflit d’intérêts. C’est tout simplement quand quelqu’un fait une chose, donne une recommandation ou émet une opinion qui pourrait lui avoir été suggérée par ceux à qui elle profite, à commencer par lui-même. L’exemple classique est évidemment le médecin qui prescrit le médicament du labo dont il reçoit des « cadeaux ». Cette affaire de collusion est vraiment importante car elle va nous permettre de remonter jusqu’aux racines du pouvoir.
Premier étage : les entreprises ou les institutions cherchent à s’attacher un certain nombre de prescripteurs, pas forcément des cadres, qui par leur position vont inciter à passer des commandes. L’incitation peut être des émoluments, des rétrocessions ou des avantages en nature. Cet étage-là est général et fait partie du combat entre entreprises ou de la collusion entre institutions. C’est répréhensible en cas d’abus, mais jamais puni.
Deuxième étage : les entreprises ou les institutions cherchent à orienter des décisions administratives ou politiques en fonction de leurs intérêts. Ca s’appelle le lobbying et les entreprises y consacrent des moyens énormes. Pour vous donner une idée, à Bruxelles, en face de l’immeuble de la commission européenne, il y a un autre immeuble entièrement occupé par les équipes de lobbying des entreprises. Ils reçoivent des exemplaires de tous les projets de textes européens, afin de les analyser et de les amender dans le sens qui leur va bien. Leurs remarques sont toujours prises en compte et ils font même des propositions pour des règlements et directives sur des sujets qui les embêtent un peu. C’est ainsi que le glyphosate, les perturbateurs endocriniens ou le diesel restent des produits en service et encore pour longtemps. C’est évidemment une entorse énorme à la démocratie, or non seulement ce n’est pas réprimé mais c’est encouragé, car souvent les lobbies sont les seuls à connaître un sujet. Le lobbying des institutions existe bien sûr mais il est entièrement l’affaire des politiques. Et en politique, comme vous le savez, il n’y a pas de pots de vin, il n’y a que des « soutiens ».
Troisième étage : le scientifique qui module des données parce qu’il est « payé » par une entreprise, ou le fonds financier qui fait profiter ses amis de quelques informations spéculatives, ou le consultant d’un fonds financier qui est un ancien fonctionnaire du ministère. Ca c’est le conflit d’intérêts proprement dit, ou le délit d’initié, qui sont plus ou moins réprimés ; mais les sanctions éventuelles sont seulement financières et donc ne gênent personne.
Cependant ce n’est pas le dernier étage.
Quatrième étage : les écuries des politiques. Les décideurs politiques sont très peu nombreux en France, tout au plus quelques centaines et personne n’a d’influence sur eux sauf leur réseau. Il faut bien comprendre que Hollande ou Valls reçoivent des tas de gens auxquels ils tiennent des discours lénifiants mais ils ont aussi un téléphone mobile sur lequel seul le réseau peut appeler jour et nuit. Ils ont aussi des tas de conseillers en rapport constant avec le réseau. Cela vaut aussi, bien sûr, pour Larcher ou Fabius.
Et le réseau ne se prive pas d’appeler pour un oui pour un non. C’est Bolloré qui lui dit qu’il doit installer des bornes électriques dans toute la France, c’est Brégier qui lui dit qu’il faudrait faire un saut en Chine ou c’est Petit-Colin qui lui dit où implanter l’usine de maintenance des moteurs d’avion. Et c’est xxx, je ne connais pas tout le monde, qui lui dit qu’il faut envoyer l’armée au Tchad. Là sont les racines du pouvoir qui a réussi à éliminer totalement la représentation populaire des circuits de décision. Là est le ressort de la dictature financière qui nous gouverne. Là est la soi-disant vie politique qui n’est que le reflet des conflits entre écuries. Car effectivement il est difficile de satisfaire tout le monde à la fois, alors c’est plutôt chacun son tour, et les « grandes » décisions de l’exécutif ne sont, en fait, que des arbitrages entre « amis ». Alors quand vous votez regardez un peu l’écurie que vous voulez mettre au pouvoir. Et c’est à vous dégoûter de voter.
Michel Costadau
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