Comme beaucoup d’entre vous je me demande ce que je peux bien écrire dans l’enquête publique sur la LACT. Certes mon avis je le connais, mais ce n’est pas mon avis qui est demandé mais mes arguments. Les arguments il y en a plein, cependant je trouve qu’énoncés sous forme de liste ils manquent un petit peu de liant. Alors je me suis dis : comment ferait un avocat ? Sa plaidoirie ne se présente pas du tout comme une liste de ce qui est pour ou de ce qui est contre. Non il reprend tous les faits et essaie d’introduire le doute dans l’esprit des juges pour les amener à ses convictions. En fait il argumente, il cherche à créer une relation afin de présenter sa vision comme logique, naturelle, évidente. Alors commençons.
Souvenez-vous messieurs, la première motivation pour une autoroute concédée c’était la rapidité de mise en œuvre. En effet, en quinze ans il n’avait été réalisé sur fonds publics que deux petits tronçons à quatre voies autour de Puylaurens et de Soual. La pauvreté nationale en était la cause et à ce rythme-là le tracé entier aurait pris une éternité. C’était le leitmotiv des édiles et ont alors surgi les slogans autoroute 2013, puis 2015, puis 2017, puis plus rien. Clairement, la rapidité de la solution autoroute s’est évaporée, ce qui a commencé à susciter le doute. En même temps, une fois le projet autoroutier porté par les décisions ministérielles, il a eu un effet pervers inattendu : plus aucuns travaux sur la 126. Je n’irai pas jusqu’à dire que cette situation arrangeait bien l’Etat mais, en tous cas, elle lui permettait de justifier le fait de ne plus dépenser un centime sur l’itinéraire. Et pourtant la nécessité de l’amélioration se faisait de plus en plus criante : accidents dont certains mortels, ralentissements, feux rouges, mais rien n’a été fait. Disons pourtant que la suppression du feu de Saïx n’aurait pas coûté une fortune.
Alors, le second argument des partisans de la solution autoroutière était bien sûr la rapidité de déplacement. Cependant la quantification de cette rapidité n’a jamais été claire à cause du point d’arrivée sur l’A68 et la rocade toulousaine. Certes en milieu de journée le gain aurait été mesurable, mais comme les utilisateurs se concentrent le matin, le gain devenait plus qu’aléatoire, ce qui a conduit d’ailleurs une partie du trafic à se reporter sur l’ancienne 126 par Saussens, voie naturelle vers le Sud de Toulouse.
Néanmoins, on peut dire sans contestation que l’amélioration de la route est une nécessité partagée par tout le monde et il est certain que l’autoroute par sa structure même : pas de double sens, pas de croisements, améliore la sécurité. Cette amélioration est notable et permet du coup une augmentation de la vitesse autorisée. Seulement elle ne concerne, évidemment, que ceux qui l’utilisent, et il est donc difficile de comparer l’accidentologie actuelle à celle de l’autoroute, car il faudrait lui ajouter celle du trafic conservé par la 126, foncièrement local.
En effet, il vous faut savoir aussi, messieurs, que le trafic sur la 126 est principalement de transit, c’est-à-dire que ceux qui font le parcours d’un bout à l’autre sont les moins nombreux. En conséquence, le gain de temps potentiel ne concernerait qu’une partie des usagers. Par contre, le trafic local se trouverait pénalisé dans l’utilisation de la 126 par les traversées de villages, actuellement contournés, ainsi que par l’obligation de passage des camions et engins agricoles. Je vous demande, messieurs, de bien vouloir garder à l’esprit cette pénalisation, car je vais en reparler.
Restons quelques instants sur cette notion de temps de parcours. Je ne vous apprendrai rien en vous disant que pour se déplacer en voiture quand on calcule l’heure à laquelle on doit partir, on ajoute toujours une marge. Cette marge peut avoir pour origine le brouillard, les vacances, les travaux. Cependant, quand elle a pour origine ce qu’il est convenu d’appeler les bouchons, sa quantification devient difficile et l’on a tendance à l’augmenter quitte à partir plus tôt ou, bien sûr, à prendre le risque d’être en retard.
Puis-je vous rappeler, messieurs, que le point d’arrivée d’un automobiliste n’est jamais la rocade toulousaine, qui ne présente aucun intérêt en soi mais plutôt un passage vers une destination à laquelle on accède assez souvent par la rocade et qui comprend un parcours plus ou moins long en ville. Par conséquent, le point important n’est pas la longueur du trajet mais le calcul de la marge. Et logiquement c’est donc la régularité de la durée du parcours qui permet de prendre la marge la plus faible et ainsi d’optimiser au mieux la durée réelle du trajet. Je me permets d’ajouter avec un certain recul issu de l’expérience que le fait que le parcours Castres-rocade Toulouse-rocade prenne 60mn, plutôt que 50mn ou 70mn n’est pas un facteur décisionnel par rapport à la sécurité du trajet et à sa régularité. Et je suis sûr que vous partagez ce constat.
Vous voudrez bien prendre en compte maintenant que, dans une solution autoroutière concédée, le principe de rentabilité est prépondérant. Ce principe demande, voire exige, une augmentation de la fréquentation, c’est à dire une augmentation du trafic sur l’itinéraire. Et, messieurs, en sus de la tendance à la suppression de l’automobile en ville, cette augmentation conduit mécaniquement à l’accroissement du pic de trafic matinal qui est déjà la cause de ces fameux bouchons assez désagréables. Nous découvrons ainsi un nouvel effet pervers : la diminution du temps de parcours augmente la taille des bouchons et donc leur durée, annulant ainsi le gain de temps potentiel acquis sur la première partie du trajet. Vous n’êtes pas sans savoir que l’écoulement de la circulation répond en partie à la mécanique des fluides et que pour optimiser le débit d’un entonnoir, il faut veiller à ce qu’il ne soit jamais plein mais en écoulement constant.
De plus vous le savez, le Tarn dispose déjà d’une autoroute, gratuite certes, mais traversant un paysage assez différent de la vallée du Girou et de la dépression castraise. Il ne vous a pas échappé que sur la 126, il n’y a aucune ville comme Gaillac, mais seulement de petits villages avec un modeste point culminant à Puylaurens. Cela permet de comprendre la source du trafic local et du même coup qu’inversement les clients potentiels d’une autoroute ne se trouvent qu’aux deux extrémités ou plutôt à une : Castres.
Restons quelques minutes sur Puylaurens qui, clairement, revendique son attachement rural, illustré par son marché, son abattoir et ses ateliers de découpe. Eh bien il en est de même de tous les villages du parcours qui ne cherchent pas du tout une dynamique citadine mais un habitat campagnard. Sachez, messieurs, que les gens de la campagne se déplacent beaucoup tant pour le travail que pour les activités agricoles, les divertissements ou l’éducation. Ainsi il y a un important tissu rural, comme en témoignent les fêtes de Lavaur ou de Puylaurens. C’est, donc sans le moindre passéisme que je vous dis que ce tissu vivant a besoin d’être reconnu, entretenu, irrigué, encouragé.
C’est pourquoi il ne faut pas hésiter à dire que, par son principe même de limitation des accès, l’autoroute est clivant et excluant puisqu’il privilégie seulement les extrémités qui ont, d’ailleurs, tendance à vivre le trajet comme un simple tunnel permettant d’éviter la campagne. La 126 est une artère qui irrigue 50 km de campagne, et plutôt que d’en réduire le débit il faut au contraire le fluidifier, le sécuriser, le fiabiliser et le maîtriser. C’est la vie d’un pays qui est en jeu.
Bien sûr, messieurs, je sais que vous me lisez parce que vous avez un avis à donner, mais je n’hésite pas à dire que c’est plutôt une décision à faire prendre. Quelle décision me direz-vous, puisqu’aussi bien votre avis est essentiellement consultatif. Eh bien, messieurs, cette décision c’est de redonner un peu d’espoir aux habitants de Castres et vous avez la mission de faire prendre aux pouvoirs publics la décision de lancer immédiatement l’aménagement de la 126 conformément aux exigences de développement d’une agglomération et d’un pays.
Car les habitants de cette grande cité ont été, depuis 20 ans, malmenés par les pouvoirs publics, allant de promesses non tenues en concertations sans fin. Les habitants de Castres veulent que l’on s’intéresse à eux, qu’on leur fasse voir qu’il va vraiment se passer quelque chose. Et pour cela vous avez donc non seulement des avis à recueillir, mais un immense message à délivrer : c’est celui de la fin de l’opposition ville-campagne, la fin de Castres contre la vallée du Girou, la fin des bonnes intentions et de l’incurie.
Et là il y a urgence. Excusez-moi si j’alourdis l’aspect dramatique de la situation, mais, messieurs, je vous demande de ne pas être responsables du prochain mort sur cette route. Oh bien sûr il y aura toujours des cas inévitables où vous n’aurez rien à vous reprocher, mais il y aura aussi des dépassements dans le brouillard sans barrière centrale avec de jeunes vies trop tôt broyées ou anéanties.
Ne nous méprenons pas, si la tendance est à la suppression des automobiles dans les villes, elles restent le seul moyen de déplacement en campagne. Même si vous n’avez pas d’origines rurales il ne vous est pas indifférent que le combat entre les villes tentaculaires et les campagnes qui se désertent a changé de couleur depuis plusieurs années. La campagne existe et veut continuer à vivre. L’avenir de la campagne ce n’est pas l’urbanisation. L’avenir du développement d’une ville ce ne sont pas les longs déplacements, mais l’équilibre entre lieu de vie, lieu de travail et environnement. Messieurs, délivrez-nous de la chimère autoroutière et mettez les pouvoirs publics au travail pour concilier les besoins de Castres et ceux de la campagne. Merci.
Michel Costadau
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