Deuxième saison.
A l’attention de messieurs les membres de la commission d’enquête.
Vous avez l’importante mission de recueillir les arguments en faveur ou en défaveur du projet présenté. Ce n’est pas du tout un vote et ce n’est pas l’opinion de chacun qui est demandée, mais la réflexion qu’il développe sur les avantages, inconvénients ou lacunes de la solution proposée. La solution d’accord, mais à quel problème. Clairement, il s’agit du souhait de Castres de faciliter son accès à Toulouse. Notons que ce souhait, tout à fait légitime, est unilatéral. Je veux dire que ce n’est pas réciproque. En effet Toulouse ne demande nullement d’améliorer son accès à Castres, préférant gérer en priorité ses problèmes de circulation et ses rocades.
Une fois tous les arguments recueillis et restitués dans un document, il vous appartiendra aussi de formuler un avis sur la solution proposée. Et je souhaite revenir quelques instants sur cet avis. Il est clair que vous n’avez que deux choix : soit favorable avec des réserves, soit défavorable avec des motivations. Je voudrais attirer votre attention sur le fait que, si vous rendez un avis favorable, il ne se passera plus rien. Je veux dire plus rien pour l’autoroute et rien pour l’aménagement de la 126. C’est la manière la plus simple d’enterrer le projet.
Rien, parce que votre avis favorable ne veut absolument pas dire que le ministère déclarera le projet d’utilité publique.
Rien, parce que l’Etat n’a aucune obligation de consulter des concessionnaires. Une DUP devient caduque au bout de dix ans. C’est ce qui est déjà arrivé pour la 126 dans le secteur de Saïx-Castres.
Rien, parce que la mise en place d’un nouvel exécutif repousserait encore la validation du dossier de consultation d’un concessionnaire. En effet, ce dossier devrait être remis à jour en fonction des remarques, non encore intégrées, des commissions ministérielles et des mesures gouvernementales prévisibles contre la pollution. Peut-être même avec l’intégration de quelques arguments recueillis pendant l’enquête.
Rien, parce qu’il n’est pas du tout certain, et c’est le point fondamental, qu’il y ait un concessionnaire potentiel qui réponde. Le projet de LACT n’a aucun attrait pour un concessionnaire. Non seulement le trafic est faible, surtout celui des poids lourds qui sont loin d’encombrer l’itinéraire, mais le plus important c’est que cette liaison n’a aucun prolongement. Elle ne va même pas jusqu’à Mazamet, il s’en faut de plus de 20 km. Le prolongement jusqu’à Béziers n’est pas pour ce siècle et de plus ne créerait qu’une liaison Toulouse-Béziers qui existe déjà. Quant au demi-prolongement de Puylaurens à Castelnaudary, il n’a jamais été évoqué, puisqu’il aurait supposé de relier Castres non à Toulouse mais à l’A61, à Castelnaudary, ce que Castres n’a jamais mis en avant.
Les concessionnaires autoroutiers sont des gens qui voient à long terme, c’est-à-dire qu’ils peuvent attendre patiemment que ça devienne rentable. Mais si aucune perspective de rentabilité ne se profile, ils n’y vont pas ou alors mettent des conditions financières extrêmement bien ficelées qui coûtent très cher aux pouvoirs publics. Vous devez savoir que la ville de Castres continue à indemniser un grand groupe pour ses parkings. De plus, il ressort du dossier que cette LACT n’aurait comme clientèle que la seule ville de Castres et de ses environs. C’est peu pour faire des affaires avec une autoroute. Cette faiblesse se reflète d’ailleurs dans le montant exorbitant de la participation de l’Etat et des collectivités prévues dans le dossier. Bien sûr vous pourriez penser que Toulouse aussi pourrait être intéressée par cette liaison, que des entreprises toulousaine pourraient venir s’installer à Castres mais réfléchissez : en quoi seraient-elles mieux à Castres qu’à Toulouse.
Rien, parce que la prochaine étape des constructeurs automobiles est une voiture plus autonome qui sécurisera tous les trajets. Déjà, vous le savez, le GPS permet de trouver des itinéraires évitant les bouchons et donc l’autoroute, et prend en compte le parcours de porte à porte qui est ce qui intéresse le plus l’automobiliste. De même les applications type BlaBlaCar facilitent le covoiturage même pour de petits parcours, c’est autant de véhicules en moins. De même les applications type Uber permettent de se passer de sa voiture ou de la mettre à disposition d’autres usagers. Les concessions autoroutières sont pour 60 ans et il semble bien que, bien avant ce délai, la circulation et les véhicules auront beaucoup changé.
Rien, parce que l’effort des pouvoirs publics n’est plus centré sur la route, mais sur la pollution : réduction de vitesse, voitures non polluantes, taxation des véhicules, ferroutage, portions de villes interdites, écotaxes ou ce qu’il en reste. Le résultat étant, dans la pratique, de diminuer la circulation.
Rien, parce que l’avenir du développement n’est pas au déplacement des personne pour le travail mais au déplacement des informations. Déjà les employés de certaines entreprises ont un ou plusieurs jours à domicile. A quoi sert de faire 70 km matin et soir quand on peut travailler chez soi ou dans un infocentre devant son terminal en étant relié à la France entière, voire au monde. Les autoroutes modernes sont les lignes à haut débit, les réseaux téléphoniques et les réseaux sociaux. C’est là que les entreprises et l’Etat investissent. Les autoroutes automobiles rentables ont déjà toutes été faites.
En conséquence, il me paraît franchement contre-productif que vous puissiez rendre un avis favorable. Bien au contraire, si vous rendez un avis défavorable, ce qui ne préjuge en rien de la décision de l’Etat, vous incitez les pouvoirs publics à ne pas rester bloqués sur cette seule solution autoroutière passéiste. Vous rendrez ainsi possible un aménagement de la 126 par tranches, qui pourrait débuter rapidement c’est dire tout simplement débuter. Et résoudrait une demande de mars 1994. Et oui, 23 ans de perdus déjà. S’il vous plaît n’en rajoutez pas. Merci.
Michel Costadau
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