Ce soir, lorsque la farce sera terminée, que le rideau sera tombé, tous les spectateurs rentreront chez eux pour s’apercevoir que rien n’a changé. Enfin rien c’est-à-dire seulement le nom du président. C’est comme le plat du jour : on a l’impression que ça change mais ce sont toujours les mêmes qui reviennent. Semaine prochaine même réveil, mêmes voitures, mêmes bruits des voisins. Demain même école, même bus, même jardin, même sécheresse. Et même impuissance. Ce n’est pas en montant un grand barnum tous les 5 ans que le sentiment démocratique peut se développer et se maintenir.
Rien n’a changé parce que c’est le but de la manœuvre. Il faut à tout prix éviter un retour à la démocratie parce que ceux qui pillent la planète et nous enferment dans la prison médiatique n’ont pas envie de s’arrêter, ni de se remettre en cause, ni de laisser un peu de pouvoir. Ni-ni rien.
Mais quand même si, un tout petit quelque chose a changé : un petit nombre de personne de plus ont pris conscience que ce n’est pas le choix d’un président qui permettra le retour à la citoyenneté.
Non, la réforme des institutions, la fin du système présidentiel, le rétablissement d’une démocratie parlementaire pluraliste ne peuvent pas être obtenus par le choix d’un nom. C’est cela que quelques citoyens de plus ont compris. Ce nombre est petit mais un peu plus grand qu’avant. Ce n’est pas grand chose mais c’est un ferment, une levure qui va pouvoir pousser, qui va irriguer la population, par l’éducation, l’explication, la résistance.
Bien sûr nous ne sommes pas dans le domaine des sciences exactes, nous somme dans l’humain, dans le sentiment, dans le malléable. Et l’ennemi est puissant parce qu’il est aussi un peu en nous. Il n’y a pas de frontière à la pensée, à la conscience, il y a un grand patchwork où nous nous tenons les uns les autres par un lien parfois fort comme un arbre et parfois faible comme une tige de roseau. Mais ce lien par les opinions est la seule arme que nous pouvons déployer. C’est notre lien, c’est notre arme.
Lent mais irréversible, étape après étape, le mouvement de prise de conscience se développe dans le monde et aussi dans notre pays. Ce n’est pas une ligne droite mais une succession de hauts et de bas dont le sens général est quand même ascendant. Un haut avec Iglésias et un bas avec Trump, un haut avec Lula et un bas avec Sissi, Un haut avec Mélenchon et un bas avec Macron.
En fait, la photo n’est pas en noir et blanc : démocratie ou pas. Elle est en couleur, car nous avons encore quelques institutions, encore quelques bribes de représentation populaire. Alors la question c’est plutôt : voyons-nous dans la démocratie qui nous reste un rempart contre les excès du pouvoir, d’un pouvoir qui pourrait être Le Pen ou Fillon, où n’avons nous plus confiance du tout et avons-nous surtout peur de ne pouvoir résister à des hypothétiques déferlements de haines et de vengeances.
Seulement si nous avons peur ça veut dire que nous sommes déjà au-delà de la démocratie, mais alors pourquoi voter.
Ceux qui veulent briser notre confiance dans nos lois et dans nos résistances et veulent nous culpabiliser parce que nous ne votons pas, sont les fossoyeurs de notre démocratie, en sursis certes, mais encore démocratie. Vraiment le sens même du vote a été travesti. Normalement le vote est là pour indiquer ce que nous ne voulons plus, ce que nous voulons changer dans notre situation actuelle. C’est pour cela que les citoyens ont conquis le droit de s’exprimer. Mais aujourd’hui le vote a été transformé en ce dont nous avons peur pour le futur. Comment, eh bien tout simplement grâce à la création d’un repoussoir avec un niveau de nuisance imaginaire entretenu par les médias.
Nous disons clairement que cette élection présidentielle avec deux candidats pour le second tour – pourquoi pas trois, posez-vous la question ?- n’est pas démocratique. Y participer c’est aller contre la reconquête de notre propre pouvoir.
Et vouloir nous obliger à voter en caricaturant le danger que représente l’un des candidats est irresponsable. Non Le Pen n’est pas plus dangereuse que Fillon, que Sarkozy ou Hollande. Les charters de la honte existent depuis de longues années. Les victimes du trafic méditerranéen de migrants se chiffrent en dizaines de milliers, peut-être en centaines. Les centres de rétention, le contrôle au faciès, les cités, les expulsions de Roms, ce n’est pas demain, c’est notre quotidien. Acceptons-nous huit détenus dans des cellules faites pour trois ? Oui ou non. Si nous l’acceptons alors oui la démocratie est balayée car ce sont des conditions inhumaines. Si nous acceptons cela c’est que nous n’avons pas le courage de dire : c’est une situation actuelle inadmissible et je ne l’accepte pas. Ce n’est pas le futur, c’est le présent. Alors je dis que ceux qui veulent que cela continue, c’est-à-dire que rien ne change sont le vrai danger. Vouloir leur laisser le pouvoir est indigne. Quand les élections, socle de la démocratie, sont truquée pour que rien ne change, quand notre vie politique est un simulacre de démocratie, voter c’est rajouter un neuvième détenu dans la cellule.
Michel Costadau
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