Et cela autant de fois qu’il faut et que le temps le permet. Car la promise du paysan c’est le temps. Et elle lui mène la vie dure. C’est une spécialiste des câlins encourageants et des promesses non tenues. C’est lui, le temps, qui le fait sourire ou pleurer, qu’il scrute avec angoisse, qu’il attend avec avidité, C’est lui qui commande presque toutes ses actions, soit pour lui dire de ne pas faire, soit pour lui dire qu’il peut y aller. C’est lui qui le stresse parce qu’il faut aller vite, se dépêcher. Double stress quand justement pour aller vite il fait une bêtise qui le retarde inexorablement. Mais aussi grand sentiment de joie et d’apaisement quand la pluie arrive au bon moment avec la lenteur qu’il faut, la quantité qui va bien. Plaisir irremplaçable aussi de voir que ce que l’on a semé pousse bien en ligne sans manques et sans trop de salissement
Mais c’est rare, l’habituel est plutôt fait de petite attente, de petite joie et de petite peine. Car chaque région a son temps à elle. Et il n’est ni possible, ni souhaitable de vouloir arrêter le vent d’autan sur le Tarn ou la tramontane sur l’Aude. D’ailleurs les adages ne manquent pas pour essayer de se rassurer sur les prévisions. Je n’en site qu’un qui concerne le ciel et marche assez souvent : « Rouge le soir bisoir, rouge le matin pluie en chemin ». Pour ceux qui auraient un doute : bisoir veut dire vent pour la rime.
Et ainsi, chaque action agricole n’est possible qu’avec le temps qui va bien. Mais attention le temps ce n’est pas que la pluie, c’est aussi le vent, la grêle, le soleil, la tempête, la neige, le gel, le brouillard, le givre. Le gel justement permet parfois de préparer la terre sans que ça colle trop. Evidement c’est souvent la nuit qu’il gèle le plus fort et se lever à 3h pour travailler jusqu’à 8h fait partie des pratiques agricoles.
Je me souviens à mes débuts d’avoir amené un soir le tracteur avec le semoir dans le champ à semer, pour revenir en pleine nuit avec un bon -5°. Certes le sol était gelé mais le problème c’était que la terre qui était autour des roues du semoir avait aussi gelée et donc que les roues étaient bloquées. J’ai donc passé une demi-heure à taper sur des blocs avec un pied de biche, les mains je te dis pas, car évidement je n’avais pas de gants. En plus la nuit on n’y voit rien ce qui fait que je me suis perdu dans le champs ne sachant pas si j’étais déjà passé là ou pas. J’ai un peu insisté, mais au bout de deux heures je suis rentré en étant sûr d’avoir fait du mauvais boulot.
L’apprentissage du métier de paysan se fait comme ça, mauvais coups après mauvais résultats. A l’école on peut toujours vous dire : attention aux sols gelés, les outils peuvent l’être aussi. Tant que vous ne l’avez pas expérimenté c’est lettre morte. C’est pour ça que naître dans une famille de paysans est un atout considérable pour la connaissance du métier. Car c’est la seule manière de voir en direct les pièges et ennuis des machines, des animaux et des produits.
Dans la suite des bienfaits du gel, on a les engins à chenilles qui restent collés sur toute leur longueur et vous avez beau envoyer votre centaine de chevaux ça ne bouge pas d’un mm. La solution est alors de chauffer au chalumeau pendant un certain temps. Ceci dit la encore meilleure solution c’est de se trouver une occupation à l’intérieur et d’attendre le dégel.
En fait de dégel il est à noter, dans nos régions, qu’il y a de moins en moins de jours de gelées. Cela fait plusieurs années qu’il n’a pas fait deux ou trois jours de suite sans que la température remonte au-dessus de zéro. Les années de forte baisse des températures sont plutôt loin dans le passé.
Vous le savez le froid a la vertu de faire éclater les mottes de terre. Mais paradoxalement les fortes sécheresses ont le même pouvoir. Cette année par exemple la sécheresse a décompacté les sols mieux qu’un outil. Le travail de la sécheresse d’été est-il en train de remplacer le gel d’hiver, bonne question.
Michel Costadau
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