La disparition de la ruralité, c’est-à-dire la vie à la campagne, est une évolution continue de notre société, mais le suicide actuel du monde paysan est un peu surprenant. Que la pression libérale vienne du business et de l’Etat c’est classique. Bien que honteux de la part de l’Etat, ça ne nous étonne plus. Mais que la pression libérale vienne aussi du syndicalisme agricole c’est assez questionnant.
Bien sûr ce n’est pas la première mutation sociétale que nous connaissons, mais dans tous les épisodes précédents depuis les soyeux jusqu’aux sidérurgistes, le syndicalisme a toujours défendu les victimes jusqu’au bout. On n’a jamais vu de syndicalistes prôner la suppression d’emploi. Ou alors contre quelque chose. Or actuellement les paysans disparaissent dans l’indifférence générale et avec la bénédiction du syndicat majoritaire.
Je précise, pour qu’il n’y ait pas d’ambiguïté, que j’appelle paysans tous ceux qui font, ou plutôt faisaient, métier de la terre : céréaliers, éleveurs, viticulteurs, quel que soit leur mode de production et de commercialisation.
Nous constatons donc que les instances agricoles concourent à la disparition des paysans mais nous ne savons pas pourquoi. Comme point de départ établissons d’abord que la profession a été, petit à petit, conquise par les industriels et la finance. On croirait que les paysans gèrent leur profession mais c’est complètement faux. Pas plus que les employés ne gèrent l’entreprise. En fait ça fait longtemps que les banques, les fournisseurs de matériel ou de produits et tous les établissements dits coopératifs, mutualistes et professionnels ont perdu leur caractère représentatif et sont purement aux mains du business. Pourtant ce sont bien des paysans qui siègent dans les chambres d’agriculture et dans tous les organes et commissions concernés, mais ils sont là uniquement pour la galerie, pour le décor. Ils ne sont que la courroie de transmission du business. En fait ils en sont conscients mais la loi du plus fort est la seule loi que les paysans appliquent depuis toujours avec obéissance. Car on ne lutte pas contre le temps ou contre le sol on lui obéit. Et c’est ce qu’ils font.
Clairement, les paysans ont été sacrifiés à la fin de la dernière guerre mondiale. Et ce sont les Américains qui ont imposé leur mode de fonctionnement et leur dollar. Ceux qui croient que les US sont venus libérer l’Europe n’ont rien compris. Au contraire les US sont venus envahir l’Europe. Ca a très bien marché et ça marche encore. C’est à ce moment-là qu’a été lancée l’industrialisation de l’agriculture française. Ça s’est fait sous plusieurs aspects. En fait dans cinq registres.
D’abord la mécanisation. La mécanisation est bien accueillie car le métier est vraiment pénible et toute aide est la bienvenue. Evidemment la mécanisation implique revendeurs mais aussi prêts et assurances donc arrive la banque. Et ainsi a commencé l’endettement.
Ensuite la mainmise sur le foncier avec d’une part la consolidation du statut du fermage afin de sécuriser les prêts des banques et d’autre part l’élimination des petits pour favoriser voire forcer l’agrandissement. Là ça a été moins drôle, acceptable pour le fermage mais pénible pour les conflits entre personnes que génère l’attribution de terres. C’est là qu’a commencé le détournement du syndicalisme en devenant synonyme d’agrandissement. Le syndicat et les administrations s’arrangent entre eux pour éliminer les non-syndiqués, qui sont qualifiés de passéistes. Et bien sûr n’allez pas chercher là-dedans la moindre lutte contre l’artificialisation ou la spéculation, au contraire. La mainmise sur le foncier ne sert qu’à empêcher la survie des petits, à garantir les prêts, à fusionner les exploitations en favorisant les syndiqués majoritaires. A preuve l’explosion du prix du foncier qui empêche maintenant l’installation et favorise encore plus l’agrandissement
Arrive alors le détournement des coopératives. Prévues pour écouler toute la production et vendre les intrants, elles ont surtout œuvré pour éloigner les paysans de leurs clients, de façon à ce qu’ils ne deviennent qu’un des rouages de la production et non les propriétaires de leurs produits. Là aussi ça s’est fait en douceur puisque la coopérative ou le négociant vend et achète tout et fait la gestion de trésorerie. Du coup beaucoup de paysans travaillent directement et exclusivement pour des industriels dans lesquels ils ne sont pas représentés, pour le lait, la viande, les patates, la betterave et autres.
Puis vint la PAC, accélérateur de l’asservissement et de l’agrandissement, puisque les primes sont au nombre d’hectare. Donc plus de surface égal plus de primes. De plus, en montrant clairement que les exploitations ne sont pas rentables sans les aides, la politique européenne a confiné le paysan dans le simple rôle d’ouvrier de l’industrie agroalimentaire. C’était le but. Nous n’avons donc pas une agriculture productiviste par vrai choix des paysans mais par passage sous la coupe des industriels. Et c’est donc la course à la productivité qui impose l’agrandissement des exploitations et la disparition des paysans, exactement comme la concentration des usines dans l’industrie est synonyme de licenciements. En plus cette politique a aussi permis d’essayer de concurrencer les vrais exportateurs de blé d’Amérique du Sud et les riverains de la mer Noire. Qui eux n’ont pratiquement aucune aide mais vivent de leurs produits.
Enfin les semences. Dernier maillon de la dépossession des paysans, les semences végétales et animales sont maintenant brevetées et ferment la boucle en amont. Du coup le paysan achète d’une part toute sa semence, son matériel et ses produits au business et d’autre part vend toute sa production au même business. Le client final a disparu de son environnement.
Or historiquement le paysan est avant tout un producteur qui répond à une demande de consommateurs, d’utilisateurs à commencer par lui-même. Maintenant son rôle se limite uniquement à celui d’un salarié de l’industrie, payé par elle et exécutant ses ordres avant de prendre la porte pour être remplacé par des fermes industrielles.
Voilà pour la situation actuelle mais on peut d’ores et déjà prévoir une nouvelle étape. En effet le marché n’est plus aux mains des producteurs mais des commerçants. Et pour les commerçants il est clair que les labels et le bio sont maintenant la principale réserve de marges. En effet, la traçabilité, les origines, les concepts fumeux de durabilité ou d’équité ont eu leur temps mais sont au bout du rouleau. Alors il reste le bio pour inciter les consommateurs à accepter des prix. Le business a donc enclenché le bio de masse, car il a besoin de l’industrialisation du bio pour conserver des marges. Nous en sommes à la sixième phase celle de la massification du bio.
Nous avons donc la réponse à notre première question : la profession entière est aux mains du business. Celui-ci a transformé les paysans en ouvriers et applique les règles classiques d’augmentation de productivité. Quant au syndicat, sous la coupe des politiques, c’est seulement la couverture pseudo-démocratique du business. Il est là pour éviter les révoltes, les vagues et faire passer la pilule de la disparition et pousser la mise en place les fermes industrielles.
L’avenir n’est donc plus aux paysans mais aux fermes industrielles.
Reste alors une question sous-jacente. Est-ce utile ou pas d’avoir des paysans ?
La réponse est : oui les paysans sont indispensables. Mais pas pour la raison à laquelle vous pensez naturellement, c’est-à-dire l’alimentation de la population. Non personne n’a jamais demandé aux paysans de nourrir la planète. Pas plus qu’on a demandé à Renault de donner à chacun une voiture. C’est, donc, juste un slogan productiviste, comme la ferme France, qui a pour résultat que l’industrie agricole en ce moment détruit la planète et se trouve exposée à l’ire des consommateurs. En fait le rôle des paysans c’est de nourrir leurs proches, c’est-à-dire leur région, à la rigueur leur pays s’il n’est pas trop grand. Et ça ils ne le font pas, même chez nous. Ca n’exclut pas les échanges, mais l’autonomie alimentaire locale devrait être la règle de base de l’agriculture.
Par contre là où les paysans sont indispensables c’est pour entretenir la campagne. C’est ce qu’ils faisaient et qu’ils ne font plus.
Parce que ce sont les paysans qui ont créés la campagne. Ce qu’on appelle des espaces naturels sont seulement des zones sans paysans. Mais pour entretenir la campagne il faut être nombreux. Parce qu’à la campagne il n’y a pas que des champs. Il y a aussi des ruisseaux, des forêts, des landes, des lacs, des marécages et des animaux, des tas d’oiseaux, des rongeurs, d’insectes, des vertébrés grands et petits, et aussi des vers et des champignons.
Or en ce moment les paysans non seulement détruisent directement une partie de la faune et de la flore avec des produits plus ou moins autorisés quoique assurément nocifs, mais n’entretiennent plus ni les ruisseaux, ni les haies, ni les bois, ni les zones humides. Ils détruisent la campagne, purement et simplement. Et cela a des conséquences que tout le monde peut voir.
Entretenir les ruisseaux c’est éviter que les arbres tombent dans le lit et bloquent l’écoulement de l’eau, c’est maintenir les berges avec de la végétation afin d’éviter les ravinements qui comblent le lit et diminuent son débit et c’est quand il y des buses ou des ponts de vérifier qu’ils ne sont pas bouchés ce qui provoque obstacle et ravinement. C’est prévoir des zones d’étalement, en cas de débordement, sans clôtures, sans bâtiments, sans rien qui bloque l’écoulement.
Entretenir les haies c’est les maintenir en largeur et en hauteur en évitant les épareuses qui laissent des plaies sources d’attaques parasitaires, c’est évidement ne passer aucun insecticide ou fongicide à proximité et c’est respecter tous les animaux qui y vivent.
Entretenir les bois c’est renouveler la futaie de temps en temps, c’est-à-dire de l’ordre d’une ou deux fois par fois par siècle, c’est tenir propre le sous-bois avec une végétation vivante et non un amoncellement inextricable de branches mortes qui facilitent la propagation des incendies et empêchent les accès.
Entretenir les zones humides, c’est veiller à ce qu’elles ne s’assèchent pas par détournement de l’eau, c’est protéger et non chasser les animaux qui y vivent. Et ce n’est pas en faire des lieux de visites touristiques, les zones humides ont besoin de tranquillité.
Et entretenir la campagne c’est surtout l’occuper avec des champs travaillés et bien travaillés c’est-à-dire en soignant la terre et non seulement la plante que l’on veut faire pousser, avec des animaux élevés en plein air, avec des pâturages et surtout, surtout, surtout avec une présence humaine.
Or aujourd’hui au contraire la présence de l’homme disparaît de la campagne pour se concentrer en ville et dans des villages de plus en plus urbains. L’homme est en train de déserter la campagne et l’agrandissement des fermes accélère fortement ce mouvement. Jusqu’à présent il restait partout au moins un deux paysans pour un peu entretenir la campagne mais maintenant des zones entières ne sont plus habitées toute l’année et livrées à elles-mêmes.
Alors la nature, c’est-à-dire la vie, reprend la place laissée par l’homme. La progression des friches et des champs abandonnés est bien visible. Celle des loups, des lynx, des sangliers et des chevreuils, moins visible mais fortement médiatisée est en la même illustration.
Comment s’en étonner quand le business continue à faire disparaître les paysans.
La suite dans un prochain texte.
Michel Costadau
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