La dernière semaine de juillet j’étais à Ax les Thermes pour des vacances en famille. Oh pas toute, disons la moitié. Par chance nous sommes tombés sur une semaine de spectacles de rues qui se déroulaient dans plusieurs endroits de la ville avec de nombreux moments de répétitions et d’affichages ce qui ajoutait de l’animation à l’animation.
L’un de ces spectacles ayant commencé devant la mairie, c’est-à-dire près de notre lieu d’hébergement, je devins spectateur cherchant une murette pour m’assoir à l’ombre. J’étais un peu loin et je cru au début que c’était un homosexuel qui racontait ses aventures.
En fait il racontait l’histoire et les combats des hommes qui aiment les hommes. Ceux là étaient désignés sous le nom de pédales, étaient fichés et passibles de prison. Son histoire croisait un peu celle du MLF, avec plusieurs interventions de sa copine mais restait centrée sur les hommes.
Grand moment de théâtre quand pour parler du sida il se retrouvait avec les mains ensanglantées et entrait dans la foule des spectateurs assis par terre en leur tendant clairement la main. Et les gens serraient cette main après un petit moment d’hésitation mais avec une forte émotion de partage de son récit car tous souffraient pour lui.
Et aussi fortes secousses de joie dans la foule quand fut voté en 82 la dépénalisation de l’homosexualité, loi héritée de Vichy.
Petits coups de griffes sur le PC et les défilés gays avec à chaque fois une vague de connivence traversant les spectateurs qui suivaient les déambulations de l’acteur de places en places jusqu’à ce qu’il demande de s’assoir à nouveau. Pendant ce temps lui montait dans une camionnette judicieusement et volontairement coincée au milieu des participants pour klaxonner et descendre en criant « Mais vous n’avez rien de mieux à faire que d’empêcher les gens de travailler. Vous réclamez je sais pas quoi pour les hommes qui veulent des enfants entre eux. Vous croyez que c’est en emmerdant les gens que vous obtiendrez quelque chose. Ben non les gens ils vous disent dégagez, laissez moi travailler et vous aussi mettez vous au travail plutôt que de bloquer la circulation ». Et voila que l’acteur que tous le monde adulait l’instant d’avant se fait siffler et huer. Et lui : « Vous avez mis un peu de temps à réagir, il faut le faire immédiatement devant ce type de comportement ».
Bref je ne vais pas vous raconter le spectacle, vous aurez peut-être la chance de le voir. Et il y a même qui le trouveront nul.
En tous cas le soir à notre repas que nous prenons tous ensemble, la discussion est tombée là-dessus. Et comme vous le savez les échanges en famille sont les plus virulents qui existent bien plus que dans n’importe quel groupe fut il militant, car chacun connait tout des autres et chacun a son bagage de préférences, de récriminations ou de mécontentements rentrés.
J’avais lancé la discussion en disant que le sens du spectacle de l’après midi c’était de dire que le « privé c’est politique ». Dans le sens où la sphère privée peut être le lieu de comportements déviés qui ne sortent jamais et sur lesquels chacun garde un silence pesant. Le pédé expliquait bien que le combat pour la différence est loin d’être gagné ou plutôt que c’est une bagarre perpétuelle et que le cœur de cette lute n’était pas dans la gay pride mais dans les secrets de la vie privée.
Comme dans la famille nous n’avons pas d’homosexuels déclarés, les échanges ont vite portés sur l’évolution du statut des femmes. Les filles et belles filles mettant en avant les droits acquis et la vague metoo qui faisait justement sortir certains comportements privés de leur ombre grise. Les garçons reconnaissant cela mais expliquant aussi que la vie des hommes n’avait jamais été aussi facile et même devenait beaucoup plus tranquille avec les femmes.
Comme ça ronronnait un peu j’ai jeté que c’était des réflexions de privilégiés et de profiteurs et profiteuses car les acquis dont ils parlaient reposaient sur le concept d’externalisation. Le monde dit développé qui est seulement le monde riche a rejeté les maltraitances en tous genres dans le reste de la planète.
Celui qui prend en photo avec son téléphone le plat qu’il va manger au restaurant, juste pour l’envoyer à son copain feint d’ignorer qu’il est en train de profiter du travail d’enfants et de familles dans laquelle les violences faites aux femmes sont constantes.
L’externalisation est même maintenant ouvertement revendiquée par des pays ultra riches pour délocaliser leurs prisons ou leurs expulsions d’immigrés. Alors si les délocalisations industrielles datent de bien longtemps, l’externalisation des guerres, la négation des droits de l’homme et des femmes et l’exploitation des populations hors du monde riche montent maintenant au grand jour.
Déjà il y a déjà ces horribles safaris et ce tourisme climatique pour voir s’écrouler les glaciers de l’antarctique. Et bientôt il y aura bientôt un socio-tourisme pour voir le travail des enfants dans les mines de terres rares ou les viols de femmes dans les bus de Bombay. Et pourquoi pas une visite guidée des hôpitaux de Gaza détruits par Israël pays à la guerre civile permanente avec le soutien inconditionnel des pays riches.
Du coup la discussion s’est un peu calmée et même si c’est triste à dire ça ne nous a pas coupé l’appétit. Finalement les homosexuels en France ne sont peut-être pas si malheureux que ça.
Michel Costadau
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