Un ami me disait hier qu’en Chine, sur un chantier mené par des Européens, on constatait des pratiques assez extrêmes. D’une part, un mépris des règles de sécurité sur les matériels, pelle mécanique roulant sur des câbles électriques ou eau de vidange des bétonnières retournant dans la nappe. D’autre part, l’arrivée un beau matin de 2000 ouvrières pour faire en quelques jours le nettoyage du site. Les premières pratiques sont classiques et encore bien trop souvent en usage chez nous, pour des raisons de manque d’information, mais les secondes pratiques sont pour nous inimaginables. On voit mal les employés d’une usine d’automobile débarquer d’un seul coup sur un site de construction de route pour planter en trois jours 5 km de haies. En France, je veux dire.
Ce coup de main n’est pas possible chez nous car, en fait, personne n’en aurait seulement l’idée. Sauf que je me demande si, avec le revenu universel, version Suisse je veux dire à 1500€/mois, ça ne deviendrait pas possible, mais il ne faut pas confondre revenu universel et planification centralisée. Bon, la seule entité qui joue de temps en temps un rôle de main-d’œuvre publique c’est l’armée, mais, à part trois pelés dans les aéroports et les gares, ça fait bien longtemps qu’elle a disparu de nos écrans locaux pour aller s’exiler dans le reste du monde. La dernière fois que l’armée a rendu service, c’était il y a longtemps pour emmener, avec ses camions, de la paille en Aveyron frappé par la sécheresse.
Bref la question c’est de savoir pourquoi nous n’avons même plus l’idée de la mobilisation populaire pour des travaux d’intérêt général. Quand il y a un besoin, nous préférons faire appel à des organismes prévus pour ça, plutôt que de compter sur les citoyens. Il ne viendrait même pas à l’esprit d’un préfet de demander à la population de se mobiliser, par exemple, pour construire une digue contre les inondations. Et quand il y a une catastrophe, seuls les organismes estampillés sont autorisés à agir.
Alors certains diront que c’est le propre des sociétés dites développées d’avoir tout un tas de services plus ou moins publics d’assistance et de sécurité. Eh bien moi je ne dis pas ça, je dis qu’il y a sur notre planète divers modèles de société. Dans notre exemple, nous devons comparer des ouvrières propriété de l’Etat en Chine avec en France des ouvrières propriété de l’entreprise, c’est-à-dire des actionnaires. Y a-t-il un modèle meilleur que l’autre, ça se discute. En continuant notre réflexion, nous pouvons nous demander si les fonctionnaires sont propriété de l’Etat. La réponse est théoriquement oui et l’Etat français pourrait mobiliser tous les employés des impôts pour donner un coup de main, par exemple, dans des écoles ou des collèges. Mais, comme on l’a dit, c’est inimaginable. Attention je ne dis pas que les ouvrières chinoises ont un sens du collectif très développé, car il y a certainement un membre de l’appareil d’Etat qui leur a dit de se rendre sur le chantier, mais le fait est qu’elles ont rendu service et surtout qu’elles se sont retrouvées ensemble en foule à faire un travail de service public. Chez nous, les occasions de foule ne manquent pas : supermarchés, manifs, stades, mais aucune ne représente une démarche collective au service de la société. Je ne dis pas que c’est dommage, je dis que nous devons prendre conscience que notre modèle de civilisation produit des individus sans aucun apport collectif au fonctionnement de la société. Des moutons quoi, mais qui se plaignent d’être mangés. Cherchez l’erreur. Heureusement que les moutons ne votent pas.
Michel Costadau
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