Je discutais hier soir avec trois amis et il était clair pour tout le monde que nous n’étions plus en démocratie, dénomination et fonctionnement d’un pays dans lequel la représentation parlementaire exerce le pouvoir. Bien évidemment, tout un tas de vocables ont été évoqués : régime présidentiel, post-démocratie ou modernisation de la vie publique, mais clairement ce ne sont que des leurres qui ne convainquent personne, en tous cas pas nous. Alors nous analysions sérieusement les diverses possibilités de retour à la démocratie, avec finalement une certaine convergence, peut-être trop facile dans les moyens, qui tournent autour d’une nouvelle constitution.
Nous en étions là quand soudain l’un de mes copains a lancé : mais nous sommes quand même un pays libre. Bloum, mon sang, c’est-à-dire mon cerveau n’a fait qu’un tour pour dire : ben non, la principale caractéristique d’un pays libre c’est la liberté de la presse, la liberté de l’information, et chez nous la presse, la radio, la télé et internet sont aux mains des grands groupes financiers. Après, tout s’enchaîne, il n’y a pas de presse indépendante il y a les médias, à cause des médias les élections ne sont pas libres, à cause des élections le parlement n’est pas représentatif et n’a aucun pouvoir. Cqfd.
Dans un premier temps les copains n’ont pas réagi. C’est vrai que la notion de pays libre est une notion floue qui a été forgée par la dernière guerre avec la « libération » de la France et d’un tas d’autres pays. De plus, ceux qui n’ont pas été libéré par les US mais par l’URSS ont été immédiatement qualifiés de pays occupés. Mais pas nous. Nous, coup de bol, nous avons été libérés du bon côté on pourrait dire. Voire. En définitive, la domination US n’a fait que se renforcer au cours des ans avec un modèle dit d’économie libérale qui a fait et continue de faire les plus grands dégâts jamais causés par les hommes.
Cela dit, je suis sûr que vous pensez quand même que la liberté existe chez nous, à preuve ces billets hebdomadaires où je dis à peu près ce que je pense, et que donc nous sommes dans un pays libre. Seulement vous oubliez que presque personne ne lit mes billets et que ceux qui les lisent ont le seul choix d’être d’accord ou pas, mais que dans tous les cas ça ne change rien puisque le pouvoir est ailleurs et pas dans nos mains. Et d’ailleurs, toutes les voix discordantes ou concordantes d’opposition n’ont strictement aucune audience et n’arrivent pas à franchir la barrière médiatique. Et, au contraire, le pouvoir est littéralement porté par les médias avec un soutien sans faille.
Et donc je dois revenir sur cette liberté de la presse. L’information dispensée par les médias est entièrement formatée autour de la violence. Tous les malheurs du monde nous sont déversés à longueur de journée, occupent nos écrans, nos oreilles et nos yeux. 99 % de cette violence est à l’extérieur, dans d’autres pays, et même à l’autre bout du monde. Quand cette violence est chez nous, elle est terrorisée immédiatement, le reste relevant de l’asile psychiatrique qui, comme vous le savez, permet d’échapper à la justice. Toutes les guerres, les viols collectifs, les accidents, les tsunamis font la une. Le monde a été suspendu pendant trois semaines aux écoliers thaïs prisonniers d’une grotte.
Et pourtant, pourtant, il y a des millions de français qui vont au travail, ou à l’école, ou faire leurs courses, qui prennent l’apéritif, qui vont au spectacle, à la fête, tous les jours, toutes les semaines, tous les mois, sans qu’on les force le moins du monde. Il y a des milliers de matchs de foot ou de courses cyclistes pratiquement tous les jours, avec comme seule contrainte de mouiller le maillot. Cette dichotomie a pour seul but de faire croire aux gens qu’ils vivent dans une bulle de tranquillité et de prospérité, dont le mérite revient à ceux qui nous gouvernent. Alors avez-vous vraiment besoin d’Idlib ? Moi non.
Michel Costadau
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