Je me lève de bonne humeur, profitant encore de la tranquille soirée avec Timor. Nous nous retrouvons à la cuisine pour un café soluble avec quelques biscuits pour lui, mais pas pour moi qui ne mange rien avant le repas de midi. Il me dit qu’il doit prendre le train pour Perpignan à 10h20. Moi mon avion est à 16h15. Le temps joue pour moi dans le sens où je suis moins pressé que lui.
Avant qu’il parte je lui demande s’il compte revenir bientôt. Je n’obtiens pas une réponse claire mais un millefeuille de disponibilités et de contraintes d’où il ressort en gros qu’il n’en sait absolument rien. De toute façon, il faudra bien qu’il bosse un peu. Je lui dis qu’éventuellement ça sera peut être moi qui descendrai si j’ai une livraison à faire dans son coin. Nous nous quittons sur ce constat à l’amiable et il se dirige vers le métro.
Je profite de ma demi-matinée de liberté pour retourner dans le jardin et refixer les planches. Cette fois je m’y prends plus solidement avec visseuse et tout. Du coup je renforce ce coin-là et je range soigneusement mon matériel exactement où je l’ai pris. Car la seule manière de trouver ce que l’on cherche est de savoir où c’est. Et pour cela, il faut qu’il soit toujours à la même place.
Le secret du rangement c’est de remettre les choses là où on les a trouvées même s’il n’y aucune logique. Ca ne veut surtout pas dire qu’il faut édifier un plan d’ensemble pour donner une place à tous les objets avec lesquels on vit. Cette solution, purement technocratique, oublie la moitié des objets et rend une partie d’entre-eux complètement inaccessible puisque rangé à un endroit qui a paru logique au début mais dont évidemment on ne se souvient pas quand on en a besoin, comme par exemple une tige flexible, avec aimant au bout, rangé avec les peintures alors qu’on en a besoin pour le filtre de la machine à laver. Ainsi la scie à métaux peut se trouver avec les ficelles et non avec les autres scies, aucune importance puisque c’est là qu’on l’a trouvée et là qu’on la remet.
Je sors une boite de flageolets et un dos de cabillaud pour midi, puis je prépare mon bagage pour cet après-midi. Oh pas grand-chose mais par exemple mon maillot de bain dans le cas où l’hôtel aurait une piscine, et bien sûr un livre pour m’endormir le soir.
Manger seul j’ai l’habitude et en plus il y a en général un moment magique vers la fin du repas où mes idées foisonnent et où je déroule une bande son de remarques, constatations, points de vue qui me parait d’une richesse incroyable. Peut-être l’est elle d’ailleurs mais tout cette effervescence est cruellement fugitive et ne me réjouit qu’à l’instant de son émergence, pour s’évanouir et être immédiatement recouverte par d’autres séquences.
Ce n’est pas un rêve puisque je suis bien réveillé et la bouche pleine, mais j’ai le plus grand mal à m’en souvenir. Alors je souhaiterais pouvoir disposer d’une espèce de décodeur qui traduirait sur papier les pensées et toutes les associations d’idée qui bouillonnent dans ma tête. Et dans la tête des autres aussi. En plus, il y a souvent des dialogues, des questions-réponses qui me sidèrent par leur drôlerie, voire leur pertinence.
Mais, à la fin du repas, je n’ai rien dans les mains et tout ce torrent de subtiles pensées est parti se jeter dans la mer. Elle doit en savoir des choses la mer depuis que toute la terre se jette dedans. Bien sûr je pourrais avoir un cahier ou un dictaphone pour noter tout cela, mais je ne peux pas le faire parce qu’il s’agit réellement d’un moment pendant lequel je m’échappe à moi-même. C’est mon esprit qui prend la main et je ne suis qu’un auditeur du film. En fait je vois mes paroles, c’est pour cela que je cherche ce décodeur de pensée qui me rendrait tant service.
Michel Costadau
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