Heureusement, à la fin du repas le moment café journal apaise ma frustration et me détend largement. Ca ne dure pas très longtemps, mais cette sensation de se mettre dans un fauteuil en posant sa tasse brulante sur la table basse, défaire l’enveloppe plastique qui enrobe le journal, la rouler en boule et la jeter par terre, puis regarder la première page avec ses titres tous plus nuls les uns que les autres, et alors d’ouvrir grand le quotidien pour être dans ce panneau d’affichage des manipulations journalistiques illustrant le faux semblant des affaires politiques, puis enfin boire la tasse encore chaude de ce breuvage parfumé, a quelque chose de reposant, comme un rituel jouissif.
Après une courte sieste, je regarde par la porte si taxi est arrivé. Formidable il est là, je prends ma valise et en route pour l’aéroport. Peu causant le chauffeur sauf pour se plaindre un peu de tout. En fait je comprends qu’il gagne de l’argent mais avec pas mal de remboursements, il trouve qu’il ne lui en reste pas assez. Classique.
Je mets mon foulard pour entrer dans l’aérogare qui a repris, me semble-t-il, une activité presque normale, bien qu’il y ait beaucoup moins la queue aux divers points de passage. Je m’installe sur mon siège spartiate sans rien à lire puisqu’ils ont supprimé les journaux, en tous cas en éco. Je suis assis côté couloir pour pouvoir étendre au moins une jambe. Je ne sais pas qui a parlé de jauges mais l’avion est complètement plein.
Ils m’ont donné avec des pincettes un masque que je mets par dessus mon foulard. Chaque fois qu’il passe, le personnel me dit de le mettre sur le nez, ce que je fais pendant trente secondes. D’ailleurs eux aussi ont une propension à le descendre dès que c’est possible. Il faut dire qu’il n’est ni hygiénique ni agréable de respirer son propre gaz carbonique. C’est peut être même dangereux.
La poussée des réacteurs est toujours un moment décoiffant, même si la moitié du fuel s’en va sur la ville à ce moment là. Le décollage est le seul moment techniquement dangereux dans le transport aérien. Les incidents dans les autres phases de vol sont dus à la météo, aux erreurs humaines et aux probabilités. Une fois que l’avion a réduit les gaz une détente se produit toujours dans la cabine. Il nous faut encore monter, mais les conversations reprennent. Et mon voisin remarque lui aussi qu’aucune distance soi-disant recommandée n’est établie entre les voyageurs qui se touchent tous. J’en profite pour lui dire tout le mal que je pense des élus dans la gestion de cet épisode et déplorer qu’aucun de nos représentants n’ait dénoncé les choix gouvernementaux de ne jamais chercher à circonscrire le virus mais de faire seulement de la répression.
Mon voisin semble assez d’accord et me confie que, pour lui, le nombre de victimes est un révélateur du mauvais état de santé de la population d’un pays. Le virus est présent à peu près partout, c’est-à-dire que quasiment tout le monde a été et est exposé. Tout le monde ne l’a pas attrapé mais beaucoup l’ont eu ou l’auront. Cependant les personnes en bonne santé ont beaucoup mieux résisté que les autres et la plus part ne se sont même pas rendu compte qu’elles l’avaient.
Ça fait des années que l’on parle de vie sédentaire, d’obésité, de pollution respiratoire, d’excès de médicaments et aussi de tendance à la morosité. Ça fait des années que notre système de santé n’a plus aucune vue globale des individus et de leur état général mais développe uniquement des spécialités qui sont peut être performantes mais rendent les gens dépendants de la chimie. Et voilà que le verdict vient de tomber. Notre hôpital est malade. Oh pas que le nôtre, mais d’abord tout le monde occidental, gavé de capitalisme et de perte du sens de la vie. Le verdict c’est que l’augmentation de l’espérance de vie, refrain triomphant de la société de consommation, se fait au détriment de la santé. Je pourrais presque dire que les personnes âgées ont été créées pour être le réservoir de la consommation pharmaceutique. Il reprend son souffle.
Michel Costadau
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