Ensuite nettoyage des moules et c’est assez long avec tous ces petits fils accrochés qui tiennent dur à l’intérieur. En attendant nos invités j’ai envie d’un pré-apéritif pour m’éclaircir les idées. J’en propose à Taqui qui me dit : pas maintenant, je vais voir les bouquins que vous avez et lire un peu. D’ac, je me sers un scotch et retourne dans la cuisine. Je suis bien et prêt pour une bonne soirée. Il faut quand même que je discute avec Timor de ses projets, s’il en a, car je voudrais, et même un peu plus, garder des relations avec lui qui reste un de mes meilleurs amis. Nous avons déjà pas mal de souvenirs ensemble qui nous relient, en particulier, quelques soirées avec des ennuis à répétition, y compris un trajet sous la neige pas piqué des vers pour un réveillon.
Et voilà que, de même qu’après le déjeuner, mon esprit divague et part en shifting dans une espèce de rêve éveillé. Je ne vois pas le monde d’en haut, comme si je le survolais, mais au contraire mon intérieur avec ses terribles contradictions. Comment dire à Timor que je tiens à lui sans avoir pour autant une attirance physique. Mais, au contraire, peut-être est-ce ce qu’il attend parce que ce qu’il ressent est irrationnel, du domaine de l’émotion, alors qu’il n’en est rien pour moi qui joue simplement avec le registre de l’amitié comme si c’était une notion claire et bien partagée.
Or l’amitié est une notion assez virevoltante, allant de la solidarité régimentaire entre hommes à un fluide éthéré entre homme et femme. La base de l’amitié repose sur le fait que ce n’est pas sexuel. Du coup ça n’habille pas les relations homosexuelles pas plus que les relations entre hommes et femmes. Certes, pas mal de femmes aimeraient ce type de comportement mais c’est une douce rêverie ambigüe dont profitent certains hommes.
Bien sûr j’ai vu son lent rapprochement avec Sazak, qui me conforte dans mon attitude de seule camaraderie, mais… mais j’ai un doute comme toujours sur le bien fondé de mes comportements qui, je le sais par expérience, vont quelque fois à contrario de mes intentions. Il est souvent difficile d’avoir un parfait accord entre ce que l’on dit par la parole et ce que l’on exprime par ses attitudes, ses mimiques, ses comportements parfois inappropriés ou décalés car simplement tardifs ou trop tôt manifestés. Combien de fois dans une discussion, n’ai-je pas entendu : mais tu ne m’écoutes pas, alors que j’absorbais ce qui était échangé bien que mon interlocuteur ressente que ses paroles ne m’atteignaient pas, que j’étais en non-réception. Tout simplement parce que mon corps fortement concentré en moi-même, manifestait, le visage en particulier, une distance jugée comme un rejet.
Comme nos invités arrivent, je sors de ma torpeur pour lancer la cuisine et proposer l’apéro. L’ambiance monte tout de suite et les deux sœurs lancent des blagues et se mettent à rire d’une manière communicative. Du coup tout le monde re-remplit son verre, sauf moi qui ai pris un peu d’avance tout à l’heure. En leur disant Santé je m’absente avec Taqui pour lancer les moules, le riz et préparer les entrées.
En retournant avec les autres, je vois que même la mère de Bulan a le sourire aux lèvres, comme dans une espèce d’allégresse générale, pas entièrement due à l’alcool. Fait assez rare, la discussion est collective et tout le monde apporte son grain et surtout son humour. C’est pour ça que les discussions d’apéro sont gaies et décousues. C’est la preuve aussi que les gens aiment parler et échanger et tout simplement se retrouver ensemble. Le langage est, peut-être, ce qui différencie le plus l’homme de ses cousins animaux et il faut bien que cette aptitude trouve son emploi. L’homme est doté de la parole mais du coup il a besoin de parler et d’écouter, c’est une nécessité vitale comme de respirer.
Taqui invite tout le monde à passer à table où chacun emmène son verre. Evidemment la discussion s’arrête et chacun s’assoit sans protocole, mais Sazak et Timor se retrouvent côte à côte, ainsi que la mère de Bulan et moi. C’est bien parti.
Michel Costadau
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