-Non, pas question de fouiller le passé à la recherche de je ne sais quelle vérité intrinsèque, mais simplement, il se trouve que tout notre être est dans le passé. Aujourd’hui tous les hommes sont connus, il n’y en a pas d’autres. Nous avons fait le tour de la Terre et du coup de tous ses habitants. Ce que nous sommes n’est pas dans l’avenir mais dans notre existence et notre histoire,
-C’est très correct, je me sens a l’aise avec ça, mais peut être avez-vous déjà trouvé un fil conducteur dans cette histoire, c’est-à-dire notre essence,
-Oui justement, c’est pour cela que je n’avais pas fini tout à l’heure. Je l’ai déjà évoqué deux fois : la solitude est le grand mal de l’homme. Sans groupe l’homme n’existe pas, il ne peut pas vivre. Un individu n’est que la plus petite partie d’un groupe. Or le groupe n’est pas toujours présent ou actif. Je ne parle pas des moments où l’on est seul, qui sont nécessaires, non le problème vient de l’isolement, de l’évanescence du groupe. D’ailleurs être seul, par exemple au cours d’une journée, où même plus longtemps a des effets presque toujours positifs tants que l’on est relié. Tant que l’on sait que l’on va pouvoir retrouver le groupe. Rien de plus terrible que d’être seul sans savoir quelle sera la prochaine rencontre, le prochain contact. C’est la rupture des liens qui crée la solitude ou plutôt l’angoisse de la solitude. Le pire cas est celui de personnes, même jeunes, vivant seules, avec plus aucune famille et peu de relations. C’est paradoxalement plus grave en ville qu’à la campagne ou l’on est isolé par la distance. En ville la proximité est basée sur l’anonymat. Vous êtes tranquille mais personne ne vous connaît. C‘est cher payé.
A l’inverse les enfants ne sont pratiquement jamais seuls pendant de longues années. Bien sûr le besoin d’isolement existe et est nécessaire. Certaines personnes ont d’ailleurs une seule envie c’est d’être seules, car l’autre, les autres, le groupe sont souvent pesants. Cependant ces besoins de solitude sont de l’ordre de quelques heures ou de quelques jours et peuvent être rompus quand on le souhaite,
-Ça me va toujours et je peux essayer d’apporter une question à votre propos : êtes vous d’accord avec l’idée que la famille est aussi un lieu de mélange, de renouvellement sauf, bien sûr, pour celles portées sur la pureté du sang, ce qui ne veut strictement rien dire,
-Oui la famille est le creuset du croisement, du métissage, de l’enrichissement génétique si ça veut dire quelque chose. Avec son cortège de refus, d’autorisation, de réjouissances, de tendances implicites les membres d’une famille jouent un rôle d’influenceurs constants de la vie quotidienne. D’ailleurs nombre d’organisations sont bâties sur ce modèle ; les religions, les partis politiques, les maffias, les coopératives, en développant plus ou moins la notion de paternité et/ou de fraternité…..,
-Qui veut du café, nous interrompt Sazak,
Tout le monde répond oui sauf la mère de Bulan qui préfère une tisane. Je retourne à la cuisine avec Taqui pour faire chauffer de l’eau. En allumant la fontaine je lui demande ce qu’elle pense de cette notion de famille. Elle me répond immédiatement :
-Très peu pour moi. Je ressens ça plutôt comme un carcan que comme un berceau tendre et accueillant,
-C’est votre quête d’indépendance qui vous pousse en l’occurrence,
-Pas seulement, il y aussi l’idée d’un tribunal inamovible dont on a pas choisi les membres,
-L’image est peut-être un peu forte mais ça peut arriver surtout quand il y a du bien à protéger ou partager,
-Ce n’est pas le cas chez nous, du moins à ma connaissance, je crois que maman possède sa maison et je ne vois pas quoi d’autre, non je reste sur une impression générale, pas simplement basée sur ma seule expérience,
-Bien, je trouve que ça vous correspond tout à fait, dites-moi, on dirait que l’eau est chaude, j’amène le café en poudre et la tisane. Vous amenez le reste.
Nous retournons dans la salle à manger pour retrouver les invités qui échangent mollement sur les mesures en cours puisque la confiance, déjà vacillante, dans ceux qui savent a disparu et qu’il ne reste plus que ceux qui parlent.
Michel Costadau
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