Et ceux-là, ça fait longtemps que nous ne les écoutons plus.
Tout le monde profite encore des bienfaits de cette soirée, entre chaleur humaine du partage et enrichissement de l’esprit par la discussion, sans parler du rayonnement de Sazak et Timor qui se frottent les yeux en éclairant leurs visages d’une tendance à sourire. Étrange bienfait du désir ou émerveillement de la connivence, je ne sais lequel fait le plus d’effet mais perso je ne crois pas avoir eu plus de plénitude de satisfaction que dans le sentiment du partage avec quelqu’un pour une appréciation commune, ressentie, échangée des yeux et comblée dans une esquisse de rire.
Les Bulan rentrent chez eux et Timor et moi allons nous coucher après avoir remis un peu d’ordre dans les pièces.
La première chose que je fais le lendemain c’est de rappeler ces numéros de l’affichette sur la palissade. Je n’ai pas plus de succès que l’autre fois. Je ne sais pas où ça tombe, mais ça n’aboutit jamais. Au bout d’une demi-heure je laisse tomber et je vais la décoller de la palissade pour la mettre dans ma poche. Les meilleurs moments ont une fin et je commence à croire que c’est un coup un peu tordu. D’ailleurs je ne trouve aucune autre affiche sur les maisons de mes deux rues mitoyennes.
Pendant qu’il prend son café du matin j’échange avec Timor sur la soirée d’hier et il se trouve que lui comme moi l’avons beaucoup appréciée. Je lui fais remarquer qu’il n’a pas dit grand-chose et il me répond que moi non plus, ce qui n’est pas faux. Bon je lui dis que je vais passer à la mairie pour en finir avec cette affichette. Lui n’a pas de programme et ira faire quelques courses pour midi, ce qui me va très bien.
A la mairie je demande le service voirie, une femme relativement peu avenante me demande ce que je veux. En aparté je me dis qu’il faut être tombé bien bas pour devenir le demandeur de quelque chose que l’on n’a pas pris la peine de vous expliquer. C’est l’inversion des rôles, classiques mais à laquelle je ne m’habitue pas. Je lui montre mon affichette qu’elle regarde comme si elle voyait la copine de son mari, c’est-à-dire avec une grosse grimace. Quand même elle me dit : c’est pas ici, c’est plutôt l’urbanisme. Bon c’est où l’urbanisme, réponse ben c’est marqué, y a qu’à regarder. Je comprends qu’elle a fait son maximum pour moi et que si j’insiste je vais me faire traiter de débile. En fait il n’y a guère d’indications, alors je parcours le couloir et je finis par trouver le service. La sosie de la voirie me demande ce que je veux et je lui montre l’affiche. A son regard je vois qu’elle ne va rien me dire d’agréable. Je me risque quand même à lui dire : alors c’est pas vous ? En prononçant ces mots je me rends compte que la question est ambiguë car l’on pourrait croire que c’est d’elle que je parle et non pas du service. Je ne me suis pas trompé et j’entends claquer un : je n’en suis pas encore là, bonne journée monsieur. C’est poli et je m’en réjouis, tout en me disant que peut être elle rigole intérieurement de la manière dont elle a joué sur les mots pour me répondre. Passing shot rapide et efficace puisque je ne me suis pas attardé. C’est possible que son principal souci soit de ne pas perdre de temps avec les demandeurs. C’est vrai qu’il est courant que les gens qui savent quelque chose aient du mal à en faire profiter d’autres, sauf les ragots bien entendu, mais ça a l’avantage d’être faux et donc c’est comme si l’on n’avait rien dit. La rumeur c’est la pratique standard des journaux qui, plutôt que de donner une information, donnent ce que les gens en disent. Et l’on a la boucle sans fin du contournement de la réalité par des révélations successives de l’emballage de la scène du crime, c’est-à-dire notre vie, dans la même pièce du même scénario du mauvais film où la seule chose que l’on retient c’est le doute, qu’il n’est finalement pas nécessaire de lever puisque le ragot suivant est déjà là.
Michel Costadau
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