Ce qui fait que je le lis assez rapidement, mais aussi assez lentement pour pouvoir savourer ce moment puisque c’est le but. Timor retourne dans sa chambre et moi je mets mon blouson pour sortir. Direction les quais, une demi-heure de marche lente dans les rues. Le spectacle est constitué par les gens que je croise et qui, à y bien regarder, ont des têtes pas possibles. Rares sont ceux qui ont l’air de poser pour une photo, c’est-à-dire avec un visage apaisé, calme et souriant. Non, l’expression des trois quarts des personnes reflètent leurs pensées, ce qui donne différentes mines assez distrayantes. Cela me permet d’ailleurs de ne pas sentir d’yeux braqués sur soi, puisque les autres ne me voient pas. Enfin presque tous parce que certains que je croise ont une fixité du visage qui me transperce comme s’ils découvraient un assassin sous mon jean et mon blouson. Avec lenteur je progresse quand même vers les bords de Seine. Ce que j’aime bien c’est quand les canaux se jettent dans le fleuve. Là il y a un peu d’animation que l’on cherche à comprendre parce que ces déplacements de péniches sont quelquefois mystérieux. Par exemple, jamais on n’en voit faire demi-tour et d’ailleurs c’est bien trop étroit pour pouvoir le faire. Alors que ça doit bien arriver à un moment, sinon les péniches ne feraient qu’un seul voyage et on retrouverait tout le monde à la mer. Au bord de l’eau je me laisse reprendre par la saveur particulière de l’air, qui n’est pas, à vrai dire une odeur délicate car il y a de fines senteurs de vase et un mélange, assez costaud, d’étalage de poissonnier et de poubelles. C’est ainsi que tous les sens sont abreuvés, car il y a aussi des bruits de raclement de bois, des clapotis, des grincements de chaînes et des frottements de cordes et de poulies. Et les yeux ne sont pas en reste puisque même immobiles les péniches, les barques, les bouées ne sont pas des objets courants à notre regard et bougent imperceptiblement mais continûment. C’est dommage qu’il n’y ait pas beaucoup d’endroits pour s’asseoir. Je reste debout jusqu’à ce que je vois une bobine de câble vide, un peu basse mais bien située au bord du quai.
C’est à ce moment-là que je vois le messager°°° qui se rapproche de moi lentement. Quand il est à portée de voix il me dit :
-Il y a un message,
-Oui allez y,
-Il vient la semaine prochaine,
-Y a-t-il une réponse à donner ?
-Non, il y sera c’est tout.
Il s’éloigna pendant que je restais assis.
°°°En m’excusant parce que ce messager fait référence à une partie antérieure du roman qui n’est pas encore écrite.
Mince alors, je ne m’y attendais pas. Lui, revenir, quelques jours après, je ne vois pas le rationnel. Bulan et ses sœurs ne m’ont rien dit, pourquoi. C’est embêtant dans les deux cas. Soit ils ne savent pas son retour et ça craint un peu pour eux et surtout pour Vienna leur mère, soit ils savent et ça craint en plus pour moi.
Ben dis donc, en fait de promenade pour se changer les idées ça se présente moins bien que prévu. Je ne suis pas pressé de rentrer, j’aurais surtout besoin de réfléchir. Mais il faut que je parle avec Bulan pour faire le point.
Je me remets en marche encore plus lentement avec juste assez de vision sur ma route pour éviter les collisions avec les passants et le reste de mon attention consacré à faire tourner mes méninges. Mais je ne vois pas grand-chose surgir. Peut être Vienna ne nous a-t-elle pas tout expliqué, mais d’abord je voudrais comprendre. Petit à petit ça se met en ordre dans ma tête, il y a trop de non-dits pour que je puisse progresser. Les étapes sont donc d’abord Bulan, ensuite sa mère et après Timor. C’est cet enchaînement de discussion que je dois avoir. Mon esprit s’apaise et je recommence à voir les rues et les gens, heureusement car nous arrivons dans un endroit plus fréquenté où mon étourderie aurait pu me jouer des tours. Je retrouve la maison, vide, car Timor a dû mettre son plan en action et ne rentrera probablement que ce soir, ou pas.
Michel Costadau
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