-Et c’est quoi ce un peu qui dépend de moi et tout ce reste qui n’en dépend pas ?
-Il y a une personne de la famille de vos amis qui a une position clé et qui ne sait pas encore quelle attitude adopter à votre égard,
-C’est maigre et je suppose que c’est tout ce que vous avez à me dire,
-Non, je vous laisse un rapport complet avec les analyses détaillées, vous y trouverez ce que je viens de vous dire sur votre allure, votre comportement et de multiples autres éléments dont j’espère que vous ferez bon usage. N’hésitez pas à y revenir de temps en temps pour vous découvrir par strates successives,
-Au moins il y a vos coordonnées dans ce rapport ?
-Pas exactement, mais il y a une procédure pour que je puisse vous recontacter à votre demande,
-En fait vous avez une mission pour le compte de quelqu’un et vous l’exécutez bêtement ?
-Non pas bêtement mais plutôt scrupuleusement c’est ça et, contrairement à ce que vous pensez, je peux vous dire que vous n’avez pas que des ennemis,
-Ah bon j’ai aussi des amis alors,
-Mais oui. Hélas je n’ai pas d’autres éléments. Maintenant, avant de vous laisser, je vais enlever les dernières caméras, y compris celles que j’ai mises dans la rue et qui m’ont été très utiles,
-Ah bon alors vous m’avez filmé jusque dans la rue, c’est un peu fort ça. Mais vous filmez tout le monde en fait ?
-Non uniquement les gens qui passent et il n’y en a pas tant que ça,
-Ne faites pas le malin, vous voyez très bien ce que je veux dire,
-Oui pas de problème, en tous cas pour moi. Bon courage et à bientôt.
Le rapport à la main, je regarde partir ce drôle d’énergumène dont je ne comprends pas tout à fait le rôle par rapport à Vienna et sa famille, mais dont je suis certain de l’implication.
Je me prépare à déjeuner seul, ce que j’aime beaucoup en fait, non pas tant pour le menu qui ne me change pas trop des repas à plusieurs, mais pour le libre cours de ma pensée qui peut divaguer à son aise dans tous les recoins de mon esprit. C’est open bar dans le moutonnement de la pensée chevauchante qui bondit de bosses en creux fertiles avec zigzag et passage du coq à l’âne. Longue pâture, presque insuffisante, pour un esprit dévalant son énergie et ses sauts de carpe hallucinée.
Il est vraiment difficile de totalement contrôler son esprit, par exemple, pour le concentrer sur une idée. Il a toujours tendance à chercher à s’échapper par des déclics et des associations que je suis bien en peine d’anticiper. A l’inverse, vouloir changer de sujet est parfois impossible car il revient toujours à son fil conducteur qui finit par devenir une idée fixe dont on a le plus grand mal à se débarrasser.
Et exactement en ce moment mon cerveau est fixé sur cette famille qui me fait tourner en rond, parce que, au début du début, moi je suis un copain de Bulan, roi de la musique, en tous cas la sienne me plaît. Puis arrivent Sazak et Taqui. Cette dernière ne me drague pas vraiment mais est loin de m’être hostile. Sa soeur joue les indépendantes mais commence une histoire avec Timor, un autre de mes copains qui n’est pas doué en grand-chose mais avec lequel malgré une différence d’âge je fais volontiers équipe. C’est là que Bulan me dit : ma mère vient d’arriver, je t’en ai parlé je crois. En fait oui il m’a parlé de sa fatigue et de ses difficultés à marcher, mais sans me donner la vraie raison, c’est-à-dire sans me dire précisément que son mari était un clown tragique.
A priori je n’ai donc aucune raison d’être mêlé à leur histoire de famille. Qu’ils se débrouillent, voilà la position de sagesse que je devrais adopter. Non seulement la sagesse n’est pas mon fort, mais surtout je suis pris dans un réseau de sentiments qui m’immergent dans cette famille. Le plus complexe est celui avec Vienna. Bien sûr cette personne ne m’est pas indifférente mais, en plus elle me fait aussi pitié. Oh comme une envie de protéger et pas de la pitié vertueuse des assos dites caritatives. Voila bien deux mots que je n’aime pas : d’abord assos, cette abréviation me fait penser à sauce, à assas, assassin, à une abréviation dite par un type bourré qui économise les syllabes.
Michel Costadau
Comments are closed.