Dans ces cas-là on pense volontiers à des animaux, les fameux loirs étant quasi impossible à localiser. Le temps passant, il me semblait que le bruit, qui ne s’entendait qu’à l’intérieur, provenait de la charpente. Non pas comme les claquements secs des jointures de poutres et chevrons, mais plutôt comme un froissement. Et un jour que je déjeunais avec un de mes frères, le craquement se produisit un peu au-dessus de nos têtes. Et recommença. Nous nous mîmes alors à enlever le lambris qui tenait lieu de plafond, pour voir une poutre présentant déjà dans son milieu un petit angle pas tout à fait normal. Le bruit provenait de cette poutre en peuplier en train de se fendre au milieu. Nous avons immédiatement mis un pied droit pour soutenir la toiture et plus tard nous l’avons remplacée.
Pour ma palissade, je suis clairement dans la deuxième situation, celle où je ne sais pas ce que je cherche. Je vais donc utiliser la deuxième méthode qui procède par élimination. Je dois d’abord me fixer un but de recherche. Soit le message éventuel inscrit dans les planches, soit l’instigateur des dégâts. Je choisis, sans hésiter, la seconde option car je ne suis pas sûr qu’il y ait un message, alors que je suis certain qu’il y a quelqu’un à l’œuvre derrière tout ça.
Je commence donc à procéder à l’élimination des candidats aux détériorations. C’est facile pour Vienna et sa famille, Timor et ses copains, ainsi que pour le peu de relations que j’ai. J’ai un doute sur le public de mes livraisons, que je lève rapidement, car en théorie ils n’ont aucun lien, à part visuel, avec moi. De même mon donneur d’ordre, et celui qui me livre n’ont rien à voir avec ma maison ou ma palissade, même si mon approvisionneur connaît évidemment mon adresse. De fil en aiguille, comme je m’en doutais un peu dès le début, j’en arrive à converger sur l’ex de Vienna. Une chose est sûre, il ne me veut pas du bien. La raison m’échappe encore un peu mais il n’y a aucun doute là-dessus. C’est le candidat idéal en particulier parce que je n’en trouve pas d’autres.
Cette constatation ne me fait pas progresser d’un poil, puisque cet individu est quelque part dans la nature sans qu’il me soit possible de le joindre. Alors que lui le peut et a même annoncé qu’il allait le faire. Par contre cela valide un peu plus notre stratégie d’alerte partagée.
Nous voila donc obligés d’attendre et, en attendant, j’ai deux livraisons à faire cet aprèm.
Je vais donc d’abord déjeuner. Assez classiquement. Pendant que je somnole en finissant mon vin et mon fromage, je vois une fourmi dans mon assiette. Une petite fourmi. Elle est juste au-dessous de mes yeux et je vois qu’elle se tortille et s’arrête. Je ne sais pas pourquoi. Je me demande si elle a subi un choc, avec mes couverts par exemple, pendants que je mangeais. Difficile à dire. Soudain elle repart d’un pas alerte et je comprends qu’en fait elle aussi mangeait, enfin je suppose. Dans la même assiette que moi. C’est rare de voir manger des fourmis. Elles sont tout le temps en train de trimballer des charges énormes pour les amener à la fourmilière, c’est tout du moins l’idée que l’on a. L’an dernier, j’ai vu une fourmi moyenne tirer un petit lézard. Elle l’avait attrapé par la gueule et le déplaçait par tractions d’un demi-centimètre à chaque fois. Le lézard était plus ou moins mort car je l’ai vu se mettre à gigoter une fois avant de s’immobiliser complètement.
En observant mon assiette avec sa fourmi, j’ai vu soudain surgir une image avec l’assiette ronde représentant la terre et mon regard sur la Terre venant de l’Univers. Ce regard contenait une menace dont la fourmi ne se rendait pas compte. A l’instant j’aurais pu l’écraser ou la chasser d’une pichenette. Cette dichotomie entre une possible volonté d’un côté et une totale ignorance de l’autre m’a troublé et a retenu mon geste. Le ciel ne lui est pas tombé sur la tête, enfin pour le moment. Mais une pulsion de précarité m’a envahi, comme si moi aussi je pouvais être sous le coup d’une menace complètement invisible et même inimaginable. Je me demande si cette illumination, qui a certainement été partagée par d’autres avant moi, n’est pas à l’origine de l’invention des dieux et de toutes les croyances religieuses.
Michel Costadau
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