Je me rends compte que l’enveloppe je l’ai gardée dans la main tout en discutant, heureusement parce que dedans il y a l’argent de quelques livraisons précédentes et ça peut faire une jolie somme. Je mets le carton et l’enveloppe à l’abri et je retourne finir mon café avec Timor.
J’en profite pour lui demander quand est-ce qu’il compte retourner chez lui. Il me dit demain, ce qui nous laisse encore une bonne soirée en perspective.
Je prends cinq minutes pour commencer à déballer mon carton, voir s’il y a des livraisons ces jours ci. Oui il y a en a une à Grenoble, il faut que je m’organise. C’est une livraison assez ouverte puisqu’il est indiqué « mat 8h 10h » ce qui veut dire n’importe quel jour de la semaine entre 8h et 10h. Il y aussi les trois questions et le colis pas trop gros ni trop lourd. Ça baigne.
-Dis-moi l’artiste, est-ce que je peux te reposer la question de pourquoi tu montes pas à la capitale, c’est ton boulot qui t’en empêche, j’avais pas compris ça,
-Un peu quand même, mais je pense que je retrouverai facilement ici, en plus si tu connais du monde,
– Oui un peu, d’ailleurs ce soir on pourrait passer chez Bulan un copain musicien qui crèche pas trop loin d’ici,
-Et le couvre-feu, ça craint pas ?
-Non pas du tout, c’est juste de la dissuasion pour qu’un maximum d’imbéciles le respectent, mais il n’y a aucun contrôle. Et même s’il y en avait, il y a tellement d’exceptions qu’il est facile de trouver une raison,
-Mais de quelles exceptions tu parles,
-Ben la plus classique c’est le soutien à une personne vulnérable,
-A deux plombes du matin ?
-Y a pas d’heures pour les gens qui vont pas bien,
-Bon ok pour ce soir mais pas coucher trop tard quand même,
-Non juste la musique.
On le prend en rigolant, mais cette histoire de couvre-feu c’est vraiment une honte. Ce qui me désole le plus dans la situation actuelle c’est que la notion de vérité a disparu. Il n’y a plus que de la com, des rumeurs et des sondages.
Et pour moi les sondages d’opinion sont une véritable agression. La situation est la suivante. Toi tu penses quelque chose et c’est ton droit, mais voilà que l’on t’explique que les autres à 90 % ne pensent pas ça, par exemple sur le port du masque. Tu pourrais t’en ficher et dire moi je pense ce que je veux point à la ligne. Mais ce n’est pas possible parce qu’en gros les autres jugent que tu as tort car tu es minoritaire. Tu es jugé sans qu’il y ait la moindre discussion, sans le moindre échange de points de vue afin de comprendre les diverses possibilités offertes. Au contraire tu te sens montré du doigt parce que ce que tu penses ne compte pas, n’existe pas. Alors toi tu prends ça comme un coup de fusil. Et ça te perturbe parce qu’à l’inverse celui qui est dans le 90 % il est rassuré, conforté, ça lui donne des ailes pour ignorer les mauvais sujets qui ne pensent pas comme lui. Car tout cela ne sont que des opinions, c’est-à-dire de la pensée, autant dire du vent. Et pourtant rien de plus difficile que de penser, d’ailleurs plus personne ne pense, les gens consomment et ce sont d’autres qui pensent pour eux.
J’appelle Timor pour lui dire que je vais faire des courses. Oh oh, pas de réponse, mais où est il passé ?
Michel Costadau
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