Je rentre des courses puis je prépare le repas que nous expédions en deux temps trois mouvements et quatre petits rots pour arriver au moment de détente du café, que je prends dans le jardin en lisant le journal qui vient d’arriver avec le courrier. Timor m’explique qu’il veut acheter quelques fringues cet après-midi et qu’il rentrera ce soir pour aller chez le copain musicien.
Quand il rentre, nous allons à pied chez Bulan avec un sachet de lucques et une bouteille. Il nous accueille dans sa villa, petite mais fort jolie, avec deux jardins : un devant sur la rue et un derrière assez bien protégé des voisins. Nous nous installons à l’intérieur autour d’une table basse et commençons un apéro calme et enjoué.
Mais d’un seul coup je remarque que Timor a un regard fixe et extatique que je ne lui connais pas. Je suis son regard et je m’aperçois qu’il est braqué sur Sazak la sœur de Bulan. Il faut reconnaître qu’elle est pas mal sa sœur, brune aux yeux verts, le visage calme porté par un cou assez long s’appuyant sur des épaules hautes. Pour le moment, elle est assise sur un fauteuil bas et elle a les jambes étendues devant elle, fines avec des mollets très légèrement galbés.
Je ne bouge pas, non pas parce que j’ai peur de réveiller Timor de son hypnose, mais parce qu’il me semble que Sazak n’est pas indifférente à l’impression qu’elle produit sur mon copain. Oh c’est presque imperceptible ces choses-là, car elle ne croise pas le regard de Timor, elle bouge plutôt légèrement la tête de droite et de gauche mais ses lèvres esquissent un très léger mouvement qui, s’il se continuait, irait vers un sourire.
J’en profite pour lever mon verre et dire « santé » assez fort pour que tout le monde l’entende. Toute la tablée redescend sur terre et la conversation reprend jusqu’à ce que Bulan nous dise qu’il va chercher sa guitare pour nous distraire. Pendant son absence, Sazak, dans une grande souplesse, en profite pour venir s’asseoir à côté de Timor, pas contre lui mais sur le siège voisin.
C’est parti. Sa musique est une sorte de picking assez lent avec quelques accords au moment où il chante. En fait il ne chante pas vraiment sur ses notes, il lance de temps en temps des phrases dans le même rythme que sa main. Ça fait quelque chose comme :
…..le bruyant noir s’est posé sur la branche cassée……
…..l’arbre porte déjà beaucoup de poids……
…..les mots se sont usés avant même de servir…..
…..ils pendent comme des lianes qui relient ciel et terre…..
…..j’oublie les images, j’oublie les notes, je m’oublie et toi…..
Nous consommons ça comme de la réglisse qui glisse lentement dans nos oreilles. La nuit est tombée sans nous prévenir et après un petit égarement des esprits, nous reprenons nos verres et disons quelque banalité de saison. Bulan j’ai rien à lui dire, c’est magique, c’est mon copain, j’ai moins soif et presque sommeil.
-Dis Timor on rentre à la maison maintenant,
-Eh attends un peu quoi,
-C’est pas loin mais faut quand même marcher un peu,
-Euh je rentre pas tout de suite, vas y toi,
-Ah bon, mais c’est toi qui voulais rentrer pas tard,
-Mais il est pas encore tard,
-D’accord, pas de pb, écoute j’y vais.
Je fais la bise à Bulan et à sa sœur et je me dirige vers la sortie. En passant devant une pièce à la porte entrebaillée il me semble voir quelqu’un couché dans un lit. Je ne m’arrête pas et je me retrouve dehors pour rentrer à la maison.
En arrivant je me rends compte que je n’ai pas encore réparé la palissade. Il faut aussi que j’aille à Grenoble, et que je fasse les autres livraisons. Je me couche et je m’endors facilement après avoir lu dans mon lit trois lignes d’un bouquin qui me tombe sur la figure.
Dans la nuit, j’entends du bruit ; mince, on frappe à la porte. Qu’est-ce que ça peut être ?
Michel Costadau
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