Admettons pour commencer, ce qui n’est pas trop difficile, que l’homme fait partie du règne animal, je veux dire par rapport au végétal ou au minéral. Maintenant regardons à quoi s’occupent les uns et les autres. Le genre de vie des petites bêtes est assez difficile à observer, contentons-nous donc de celles qui nous ressemblent un peu : pattes, nageoires ou ailes, têtes avec bouche, oreilles, nez, yeux et oublions pour le moment la queue. Bref que font-elles de leurs journées ?
Sans conteste un bonne partie de leur temps est consacré à la recherche et à la consommation de nourriture : la leur, celle de leurs petits, celle de leurs partenaires ou de quelques invités non prévus. Pour certains c’est chaque jour marché et utilisation sans stockage, pour d’autres c’est plus irrégulier avec un gros repas par semaine, voire par mois.
Une petite partie, saisonnière ou même inexistante, de leur planning, est occupée par la construction de la tanière, maison, nid, toiles, creux. Pas trop prenant au final, parfois même réutilisable. Un temps extrêmement court est consacré à l’accouplement, occasion d’ailleurs de chants, de danses, de parades collectives ou individuelles. Et le reste du temps eh bien ils ne font rien c’est-à-dire dormir, somnoler, discuter, rêvasser, regarder, se promener, probablement rêver, voire réfléchir. Certes il y a des périodes de disette, de transhumance ou de migration, mais en moyenne ils ont du temps.
Alors comment ça se présente chez nous. Globalement le temps passé à la recherche et à la consommation de nourriture est assez limité, en tous cas pour la collecte. Un peu plus pour la consommation. Celui de la construction d’habitation est nul, sauf une fois dans la vie pour la première maison des jeunes avec assez de courage pour se réserver les finitions qui, du coup, ne sont jamais finies. Celui de l’accouplement est très faible et très irrégulier sauf rares exceptions avec peu de festivités préliminaires, très rarement collectives.
Et pourtant le temps pour dormir, somnoler, rêvasser, rêver et surtout réfléchir, manque cruellement ou tout au moins est très contraint. Quel est le schmilblick ?
Bon tout vient d’un paradoxe énorme : les gens ne travaillent pas pour eux. Les animaux ne font que ça, pas nous. A quelques rares exceptions près, les hommes conçoivent, étudient, fabriquent des choses pour les autres, d’autres qu’ils ne connaissent même pas. Ils s’occupent très peu de chercher leur propre nourriture, même pour leurs petits. Ils se contentent d’attendre qu’on leur donne de l’argent pour leur travail. Et après c’est un peu la pagaille, allant de la misère au gâchis.
Personne ne se préoccupant de sa nourriture, de son logement, de ses petits, de leur éducation et de la construction de son territoire, la porte est ouverte aux bandits, profiteurs, margoulins, beaux parleurs qui surfent sur nos besoins. En fait ce n’est pas notre argent que nous donnons quand nous achetons de la nourriture ou un moyen de locomotion, c’est notre travail, c’est-à-dire notre temps. Et le fait de vendre son temps n’est pas du tout neutre. Le temps c’est la seule richesse partagée équitablement entre tous les individus. Et cette denrée qu’est ce que nous en faisons : nous la dépensons sans compter à travailler pour les autres en échange de quelques pièces de monnaie. L’idée que du coup il y en a qui travaillent pour nous n’a jamais marché et n’a même aucun sens.
Je ne dis pas que tout le monde doit devenir paysan-artisan-conteur, mais quand même à force de travailler en aveugle il serait temps de se demander si l’on ne pourrait pas travailler un peu plus pour nos propres demandes, pour nos propres besoins. Le travail est une notion récente dans l’aventure humaine.
Et ça ne durera peut-être pas très longtemps.
Michel Costadau
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